Euthanasie : les vraies questions
Comment savoir si un malade en phase terminale qui demande à mourir le veut réellement ?
« Ya-t-il une oreille assez fine pour entendre le soupir des roses qui se fanent ? » Voilà, dit à la façon poétique d’un Arthur Schnitzler, écrivain de l’Autriche claire-obscure du début du siècle dernier, l’enjeu des débats sur la fin de vie et l’euthanasie. Familier des comités d’éthique, ancien membre de la commission Sicard sur le sujet, le philosophe Eric Fourneret tente d’être cette oreille-là dans un livre exigeant et profond : Sommes-nous libres de vouloir mourir ?*. L’interrogation a la saveur migraineuse d’un intitulé du bac philo, mais il serait dommage de s’arrêter à ce désagrément formel, tant la réflexion originale qu’elle soulève trouve d’écho dans les discussions autour de la « mort digne ».
Pour Eric Fourneret, « la question n’est pas de savoir si l’euthanasie est un acte bon ou mauvais en lui-même, mais de discerner l’attitude à adopter face à la souffrance d’autrui. » Ce qui revient à s’éloigner du coeur des polémiques, le droit à mourir, abondamment traité ces dernières années dans des témoignages et des essais percutants, pour se concentrer sur l’écoute de la volonté de mourir. La tâche est rude. Comment sonder, dans une perspective éthique, la volonté d’un patient réclamant à l’équipe médicale qui le suit d’abréger ses jours ? Comment évaluer la nature de ce désir, de quelle manière s’assurer qu’il est bien le fruit d’un jugement affranchi de toute influence extérieure ? Comment être sûr de ne pas hâter un dénouement qui n’aurait pas été pleinement désiré ? Enfin, qui nous dit même qu’un malade, au terme de son existence, puisse penser et vouloir librement ?
La réponse à ces questions abyssales tient dans un mot, d’inspiration kantienne : délibération. Est libre celui qui passe son désir au tamis de la réflexion, à la façon du chercheur d’or traquant la pépite dans l’eau boueuse de la rivière. Ainsi faut-il comprendre comme un « vrai vouloir mourir » la demande d’euthanasie d’un malade qui a pu et su discerner les facteurs jouant dans sa volonté d’en finir – des proches épuisés par la prise en charge, des douleurs terribles, etc. – et choisit, en conscience, de répondre à sa situation en réclamant au médecin d’écourter ses souffrances.
Notre volonté n’est ni entièrement déterminée par le biologique et l’environnement ni entièrement déliée des lois de la nature, rappelle Eric Fourneret. Nous conservons une souveraineté intérieure, cet interstice qui fait toute la grandeur de l’humain, jusqu’à son souffle ultime. Permettre à chaque patient d’exercer cette liberté, en particulier en proposant une meilleure offre de soins palliatifs, devrait être un préalable à toute discussion sur l’euthanasie, suggère l’auteur. A ses yeux, la législation actuelle, susceptible d’être amendée en fonction de l’évolution des savoirs et des techniques, constitue une option plus raisonnable que la solution sans retour de la légalisation de l’euthanasie. « Depuis le début du débat citoyen, nous sommes victimes d’une erreur d’aiguillage, conclut Eric Fourneret : respecter la volonté de celui qui veut mourir ne signifie pas le reconnaître comme un mourant […] mais comme une personne. »
* Sommes-nous libres de vouloir mourir ? Euthanasie, suicide assisté : les bonnes questions. Albin Michel.