Les spiritueux : vodka et gin
Longtemps considérée comme un alcool blanc sans grand intérêt, la vodka a retrouvé des couleurs. La française Grey Goose n’y est pas étrangère…
Juilliac-le-Coq, un paisible bourg de la Charente posé au coeur de la Grande Champagne. Juste à la sortie du village, une gentilhommière du XVIIe siècle entourée de vignes est devenue le Logis Grey Goose (non ouvert au public), soit l’ambassade de la première vodka française à avoir conquis le monde. En plein terroir cognaçais, une provocation? En entendant ces mots, le maître des lieux, François Thibault sourit. « C’est vrai, lorsque j’ai commencé à élaborer une vodka ici, les gens du cru n’ont pas caché leur scepticisme, voire leur méfiance, même si je suis un enfant du pays dont les parents étaient viticulteurs », confie-t-il. Comment est née cette idée, jugée saugrenue à l’époque ?
Après des études d’oenologie, François Thibault revient sur ses terres natales, commence à travailler au côté d’un maître de chai et finit par le devenir lui-même. Un des clients de la maison de Cognac, Sidney Frank, l’un des papes des spiritueux aux Etats-Unis, lui demande de créer une vodka uniquement destinée au pays de l’Oncle Sam. Nous sommes en 1997 et la vodka (« petite eau » en russe) est alors considérée comme un alcool de pomme de terre, fort et sans goût. Sidney Frank souhaite au contraire une eau-de-vie élaborée selon les critères d’exigence en vigueur à Cognac…
Loin d’être découragé par ce cahier des charges, François Thibault se lance dans l’aventure. Il sélectionne un blé tendre de Picardie et une eau très pure, puisée à 150 mètres de profondeur, à Gensac-la-Pallue (Charente). Issu d’une distillation continue à colonne en cinq étapes – « les multiples distillations ne sont souvent qu’un argument marketing », affirme l’oenologue –, le « vin de blé » est ensuite filtré avant d’être stocké quatre mois dans un réservoir. Un kilo de la céréale picarde est nécessaire pour obtenir une bouteille de
75 cl, composée par ailleurs de
60 % d’eau. Les tables de ce que l’on appelle désormais « vodka premium » sont écrites. La preuve que l’on peut produire de la « petite eau » de bonne qualité partout.
Outre-Atlantique, le succès est immédiat, et, en 2004, Sidney Frank revend Grey Goose pour un montant estimé à 2 milliards de dollars au groupe Bacardi-Martini.
Depuis, l’univers de la vodka premium a explosé. Les exportations françaises talonnent même celles de cognacs. Diffusée désormais dans 166 pays, « l’oie grise » mise aussi sur l’innovation : les vodkas aromatisées (citron, melon, poire, cerise noire et, bientôt, vanille), voire une très osée vodka rehaussée de 5 % de cognac : la Grey Goose VX (100 €).
Autre axe : les collaborations. Avec Alain Ducasse, par exemple, qui, selon François Thibault, a « tout de suite accepté à condition de participer personnellement au projet ». Cette cuvée, portée sur les fonts baptismaux par la star des chefs est produite, à partir d’un assemblage de trois lots de blé différents, torréfiés à différentes intensités. Une subtile alchimie qui délivre une vodka riche en arômes de café, de chocolat et d’amandes grillées. Elle coûte 89 euros : plutôt cher pour une vodka, mais on est « premium » ou non ?