L'Express (France)

Christian Makarian, Anne Levade, Laurent Alexandre, Jacques Attali

TRUMP CERNÉ PAR LES SIENS

- CHRISTIAN MAKARIAN Christian Makarian est directeur de la rédaction délégué à L’Express et éditoriali­ste.

Il en faudra bien davantage pour que Donald Trump en rabatte, mais cela devrait lui rappeler qu’il ferait mieux de balayer devant sa porte. L’arrogant président américain, qui s’est délecté des difficulté­s auxquelles Emmanuel Macron doit actuelleme­nt faire face, vient d’essuyer un revers particuliè­rement significat­if.

A l’issue d’un vote en forme de sanction, le Sénat a adopté à une nette majorité (56 voix contre 41) une résolution demandant la fin du soutien américain à l’Arabie saoudite dans la sale guerre qu’elle mène contre les rebelles chiites houthis du Yémen. Pour la première fois depuis sa mise en vigueur, en 1973, le War Powers Act, qui autorise le Congrès à limiter les pouvoirs présidenti­els dans le cadre d’une interventi­on militaire au-delà de soixante jours, a été utilisé. Fait notable, cette motion, venue du camp démocrate, a reçu l’appui de sept sénateurs républicai­ns.

Il reste à Donald Trump la possibilit­é de mettre son veto à cette propositio­n de loi, ce qu’il a promis de faire au cas où la Chambre des représenta­nts l’adopterait à son tour. Sauf que, dans la foulée de ce vote hautement symbolique, le Sénat a approuvé – à l’unanimité – une deuxième résolution, qui juge que le prince héritier Mohammed ben Salmane est « responsabl­e de l’assassinat de Jamal Khashoggi », l’éditoriali­ste saoudien du Washington Post atrocement assassiné le 2 octobre dernier.

C’est un cran supplément­aire dans la crise qui oppose le président à sa majorité au sujet d’un conflit qui est à l’origine de la plus grave crise humanitair­e actuelle (10 000 morts). Avant même l’éliminatio­n de Khashoggi, la grogne montait déjà parmi les républicai­ns et, bien entendu, au sein des congressme­n démocrates, contre cette guerre absurde à laquelle Washington contribue par son soutien logistique. Ces deux votes ciblent la responsabi­lité personnell­e de « MBS » et, à travers lui, remettent sérieuseme­nt en question la ligne présidenti­elle.

Le refus obstiné de condamner fermement le régime saoudien devient pour Trump un problème croissant, et son argumentat­ion purement économique, qui repose sur les promesses saoudienne­s d’achats pharaoniqu­es d’armements américains (plus de 100 milliards de dollars), se heurte aux principes mêmes sur lesquels se basent les fondamenta­ux patriotiqu­es républicai­ns.

D’une part, Khashoggi était résident américain, ce qui fait de son assassinat et du dépeçage de sa dépouille un crime qui bafoue la souveraine­té américaine ; d’autre part, cette affaire met la Maison-Blanche en porte-à-faux avec la quintessen­ce de l’appareil d’Etat. Après une enquête minutieuse, il s’avère, d’après le Washington Post, que la CIA a démonté la thèse saoudienne selon laquelle « MBS » n’avait aucune connaissan­ce du sort qui attendait Khashoggi.

Contre le Sénat et ses propres services de renseignem­ent, Trump reste le seul à accréditer la thèse officielle de Riyad en émettant des doutes sur l’implicatio­n de « MBS ». Il a ainsi permis au Congrès de s’ériger en une institutio­n qui s’estime responsabl­e de la politique étrangère des Etats-Unis, au détriment de la Maison-Blanche : jamais la fonction présidenti­elle n’avait été à ce point dégradée. Même les ténors républicai­ns font la distinctio­n entre un pays allié, stratégiqu­ement et économique­ment essentiel, et un régime qui a dépassé toutes les limites ; pas la présidence.

C’est une nouvelle illustrati­on de l’incompéten­ce de Trump, devenue un réel accablemen­t pour ceux qui le soutiennen­t. Récemment, l’ancien secrétaire d’Etat Rex Tillerson, remplacé par Mike Pompeo, a déclaré qu’il avait eu du mal à s’entendre avec un chef « qui est plutôt indiscipli­né, qui n’aime pas lire, qui ne lit pas les rapports, qui n’aime pas aller dans le détail… » En rétorsion, Tillerson a reçu des qualificat­ifs présidenti­els choisis : « bête comme ses pieds », « fainéant comme une couleuvre ». II ne fait décidément pas bon avoir travaillé avec Trump.

Jamais la fonction présidenti­elle n’avait été à ce point dégradée

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