LE “RIC”, UNE VIEILLE IDÉE TOUJOURS ABANDONNÉE
L’acronyme a fleuri samedi sur les pancartes et les banderoles des gilets jaunes : « RIC », pour référendum d’initiative citoyenne. Présentée comme une revendication qui permettrait de sortir de la crise démocratique que vit la France depuis plus d’un mois, la proposition est simple : prévoir dans la Constitution qu’un certain nombre de citoyens puissent déclencher l’organisation d’un référendum. Que n’y a-t-on pensé avant ? Eh bien justement, il y a des siècles que l’on y pense, et chaque fois l’idée est rapidement abandonnée.
En faveur du RIC, la théorie qu’il donnerait corps au principe démocratique d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple puisqu’il offrirait au peuple, dépossédé de l’exercice de sa souveraineté au profit de ses représentants entre deux élections, la possibilité de se réapproprier le pouvoir de décider. Condorcet déjà le préconisait lorsqu’il suggérait de mettre en place un « moyen légal de réclamation » permettant la « censure du peuple sur les actes de la représentation nationale ». Le projet était celui d’une démocratie de surveillance ou de contrôle populaire, mais il fut emporté par le coup d’Etat qui ouvrit le régime de la Terreur.
Un siècle plus tard, le boulangisme remit le référendum au goût du jour, louant les vertus de l’« appel au peuple », qui permet de « vider en un jour » les grandes querelles. Déjà, on citait la Suisse en modèle. C’est par peur des dérives plébiscitaires qu’on renonça. Enfin, sous la Ve République, le débat fut encore relancé. Alors que la Constitution fait, depuis 1958, une part inédite au référendum, par deux fois fut proposée, en 1993 et 2007, l’institution d’un référendum d’initiative minoritaire, adoptée lors de la révision de 2008.
Sous couvert d’accroître les droits du citoyen, c’est un monstre juridique qui a été créé. Une procédure complexe reposant sur des seuils tellement élevés – la proposition d’un cinquième des parlementaires, soit 185 députés et sénateurs, que doivent soutenir un dixième des électeurs, soit 4,5 millions – qu’ils garantissent qu’elle ne puisse jamais être appliquée.
Alors, que serait le RIC que les gilets jaunes veulent voir adopter ? A ce stade, il y a plus de questions que de réponses. Combien de citoyens ? Suffisamment pour que l’initiative soit significative et suffisamment peu pour que le seuil soit atteignable. On évoque le chiffre de 700 000, soit 1,5 % des électeurs. Pourquoi pas. Quant au temps pour le recueil des signatures, rien n’est dit alors que le point est essentiel.
Initiative sur quoi ? Là, on lit tout et n’importe quoi. Sur une proposition de loi? Mais qui la rédige? Et la loi pourra-t-elle porter sur tout sujet ou seulement sur ceux qui peuvent en l’état être soumis à référendum? Et quid d’une révision constitutionnelle ? En Suisse, on le peut ; en France, nul ne semble l’évoquer. En revanche, les gilets jaunes souhaitent qu’il permette d’abroger une loi votée par le Parlement ou de révoquer un élu ; c’est un régime d’affrontement entre le peuple et ses représentants qui se profile.
Et puis, un référendum dans quel délai ? Avec ou sans possibilité pour les différentes institutions d’amender le texte que le peuple veut voir voter ? Avec ou sans seuil minimal de participation ? Et puisque les gilets jaunes se réfèrent à l’exemple de la Suisse, accepteront-ils que le Parlement puisse, en France aussi, décider de la nullité de l’initiative ?
Est-ce vraiment dans une démocratie du conflit permanent que nous voulons vivre? On comprend mieux pourquoi, chaque fois qu’il a été proposé, le référendum d’initiative citoyenne a finalement été abandonné. Sans doute la piste sera-t-elle à nouveau explorée, mais il y a fort à parier qu’à RIC soit bientôt accolé RIP, pour Requiescat in pace.
Le principe : un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple