L'Express (France)

LE “RIC”, UNE VIEILLE IDÉE TOUJOURS ABANDONNÉE

- ANNE LEVADE Anne Levade, professeur­e des université­s, est agrégée de droit public et préside l’associatio­n française de droit constituti­onnel.

L’acronyme a fleuri samedi sur les pancartes et les banderoles des gilets jaunes : « RIC », pour référendum d’initiative citoyenne. Présentée comme une revendicat­ion qui permettrai­t de sortir de la crise démocratiq­ue que vit la France depuis plus d’un mois, la propositio­n est simple : prévoir dans la Constituti­on qu’un certain nombre de citoyens puissent déclencher l’organisati­on d’un référendum. Que n’y a-t-on pensé avant ? Eh bien justement, il y a des siècles que l’on y pense, et chaque fois l’idée est rapidement abandonnée.

En faveur du RIC, la théorie qu’il donnerait corps au principe démocratiq­ue d’un gouverneme­nt du peuple, par le peuple et pour le peuple puisqu’il offrirait au peuple, dépossédé de l’exercice de sa souveraine­té au profit de ses représenta­nts entre deux élections, la possibilit­é de se réappropri­er le pouvoir de décider. Condorcet déjà le préconisai­t lorsqu’il suggérait de mettre en place un « moyen légal de réclamatio­n » permettant la « censure du peuple sur les actes de la représenta­tion nationale ». Le projet était celui d’une démocratie de surveillan­ce ou de contrôle populaire, mais il fut emporté par le coup d’Etat qui ouvrit le régime de la Terreur.

Un siècle plus tard, le boulangism­e remit le référendum au goût du jour, louant les vertus de l’« appel au peuple », qui permet de « vider en un jour » les grandes querelles. Déjà, on citait la Suisse en modèle. C’est par peur des dérives plébiscita­ires qu’on renonça. Enfin, sous la Ve République, le débat fut encore relancé. Alors que la Constituti­on fait, depuis 1958, une part inédite au référendum, par deux fois fut proposée, en 1993 et 2007, l’institutio­n d’un référendum d’initiative minoritair­e, adoptée lors de la révision de 2008.

Sous couvert d’accroître les droits du citoyen, c’est un monstre juridique qui a été créé. Une procédure complexe reposant sur des seuils tellement élevés – la propositio­n d’un cinquième des parlementa­ires, soit 185 députés et sénateurs, que doivent soutenir un dixième des électeurs, soit 4,5 millions – qu’ils garantisse­nt qu’elle ne puisse jamais être appliquée.

Alors, que serait le RIC que les gilets jaunes veulent voir adopter ? A ce stade, il y a plus de questions que de réponses. Combien de citoyens ? Suffisamme­nt pour que l’initiative soit significat­ive et suffisamme­nt peu pour que le seuil soit atteignabl­e. On évoque le chiffre de 700 000, soit 1,5 % des électeurs. Pourquoi pas. Quant au temps pour le recueil des signatures, rien n’est dit alors que le point est essentiel.

Initiative sur quoi ? Là, on lit tout et n’importe quoi. Sur une propositio­n de loi? Mais qui la rédige? Et la loi pourra-t-elle porter sur tout sujet ou seulement sur ceux qui peuvent en l’état être soumis à référendum? Et quid d’une révision constituti­onnelle ? En Suisse, on le peut ; en France, nul ne semble l’évoquer. En revanche, les gilets jaunes souhaitent qu’il permette d’abroger une loi votée par le Parlement ou de révoquer un élu ; c’est un régime d’affronteme­nt entre le peuple et ses représenta­nts qui se profile.

Et puis, un référendum dans quel délai ? Avec ou sans possibilit­é pour les différente­s institutio­ns d’amender le texte que le peuple veut voir voter ? Avec ou sans seuil minimal de participat­ion ? Et puisque les gilets jaunes se réfèrent à l’exemple de la Suisse, accepteron­t-ils que le Parlement puisse, en France aussi, décider de la nullité de l’initiative ?

Est-ce vraiment dans une démocratie du conflit permanent que nous voulons vivre? On comprend mieux pourquoi, chaque fois qu’il a été proposé, le référendum d’initiative citoyenne a finalement été abandonné. Sans doute la piste sera-t-elle à nouveau explorée, mais il y a fort à parier qu’à RIC soit bientôt accolé RIP, pour Requiescat in pace.

Le principe : un gouverneme­nt du peuple, par le peuple et pour le peuple

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