LA RÉVOLUTION JAUNE EST UN BÉBÉ FACEBOOK
Le deus ex machina de l’élection d’Emmanuel Macron a occulté pendant dix-huit mois la crise existentielle de la partie la plus défavorisée des classes moyennes. « La crise politique et sociale qui nous guette depuis trente ans est arrivée. Nous n’avons pas su relever le défi. Par lâcheté peut-être. Par faiblesse sûrement. Par renoncement, c’est certain. Nous n’avons pas réformé alors que tous les autres réformaient. Et, en punition, nous avons eu le pire des deux mondes. Plus de dépenses publiques et moins de services publics. Plus de dettes et moins de justice. Plus de mots et moins d’actes », explique le sénateur Claude Malhuret. La révolution jaune est d’abord l’extériorisation d’une colère silencieuse : la certitude de ne compter pour rien, de vivre dans un monde injuste et rendu plus angoissant encore par la ghettoïsation communautariste. Les angoisses identitaires des « petits Blancs » que sont les gilets jaunes ont été niées et méprisées par les « No Border ». Le discours décroissantiste a de surcroît intoxiqué les beaux quartiers : les trottinettes, c’est fabuleux à Saint-Germain-des-Prés, beaucoup moins quand le logement est à 30 kilomètres du travail.
En réalité, 62 % des Français font passer le pouvoir d’achat et le prix de l’énergie avant les préoccupations écologiques. Cette crise vient donc de loin, et elle s’est accélérée avec le tsunami technologique qui bouleverse le paysage médiatique. La révolution jaune a été grandement facilitée par la réforme de Facebook, qui s’est transformé pour répondre aux critiques sur son rôle dans la diffusion de fake news et la déstabilisation de la campagne électorale américaine. Mark Zuckerberg a favorisé la construction de « groupes » en mettant en avant les contenus partagés par les amis et les communautés. « Un écureuil mourant dans votre cour peut être plus important pour vous à un moment donné que les gens mourants en Afrique », dit-il pour justifier cette évolution. Les gilets jaunes ont grossi grâce à cette transformation de Facebook, qui devient un outil extraordinaire pour organiser des jacqueries 2.0 dans chaque département, puisqu’il favorise les contenus produits par sa communauté locale. La montée en puissance de la révolution jaune sur Facebook a été comprise avec retard : les élites médiatiques et politiques sont sur Twitter et non sur Facebook, qui devient le média des classes populaires et moyennes.
Avant même ses bénéfices économiques et sociaux, la technologie a d’importants effets secondaires politiques. Pour le dire brutalement : l’intelligence artificielle (IA) lamine les classes moyennes avant de guérir le cancer. La révolution jaune est donc doublement causée par l’IA, qui marginalise les classes moyennes – cette crise va durer des décennies – et qui permet d’organiser la révolte via les réseaux sociaux qu’elle pilote. Facebook est le nouveau cocktail Molotov mais on ne sait pas qui le lance. La régulation des médias est inadaptée au monde actuel : un Etat démocratique ne peut vérifier ce qui s’affiche de façon différenciée sur des millions d’écrans grâce aux IA. Les gouvernements occidentaux souhaitent que les Gafa fassent la police médiatique : cela reviendrait à nommer Mark Zuckerberg et les patrons de Google rédacteurs en chef du monde, et donc leur confier la définition de la vérité ! La démocratie s’autoampute. L’accord annoncé le 12 novembre 2018 entre le président Macron et Mark Zuckerberg interpelle : qui va contrôler les modifications des algorithmes de Facebook souhaitées par le gouvernement français? De minimes modifications du paramétrage des IA de Facebook ou de Google peuvent faire basculer Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ou d’autres dans l’anonymat.
Les angoisses identitaires des « petits Blancs » ont été méprisées