L'Express (France)

CAPITAL, TRAVAIL ET MONDE

- JACQUES ATTALI Ecrivain, auteur de nombreux romans et essais, Jacques Attali est président de la fondation Positive Planet.

Les débats du jour nous rappellent une évidence : si l’on veut soulager la misère des plus pauvres et réduire les inégalités qui se creusent aujourd’hui à l’échelle du monde, la seule façon est de prendre l’argent aux très riches (et pas seulement aux moins pauvres).

C’est bien ce que proposent les économiste­s, oubliant que le monde ne se réduit pas à une tarte aux pommes dont on pourrait modifier à sa guise la répartitio­n des parts : dans un monde où, presque partout, la liberté de circulatio­n des capitaux est devenue la règle, les très riches disposent de capitaux et pas seulement de patrimoine­s ; ils ont des richesses nomades qu’ils peuvent exporter s’ils veulent fuir leur taux d’imposition. Bien des débats à la mode sur « un nouveau contrat social » ou sur « une nouvelle répartitio­n du capital mondial » oublient cette évidence : même si on le regrette, les capitaux votent aussi.

Aussi, dans bien des pays, comme on ne réussit pas à imposer justement les très riches (de peur de les voir partir ou parce qu’ils sont déjà partis), on prend surtout à ceux qui ont un peu de patrimoine pour le donner à ceux qui n’en ont pas du tout. Terrible conclusion : une véritable réduction des inégalités est incompatib­le avec la liberté de circulatio­n des capitaux. Cela conduirait à penser qu’il faut revenir sur cette liberté de circulatio­n des capitaux, refermer nos frontières et interdire aux entreprise­s de gérer leur trésorerie, et aux particulie­rs d’obtenir librement des devises, pour leurs affaires, leurs voyages, leurs achats, leurs vacances. Possible ? Peut-être.

Mais sans cette liberté, au moins partielle, on ne peut espérer attirer des investisse­ments étrangers, ni les voir créer des emplois. On ne peut que fermer ses frontières aux biens, aux services, aux idées et aux gens. Tous les exemples historique­s le démontrent.

Alors ? Faut-il renoncer à réduire les inégalités ? Ou faut-il se contenter de prendre aux classes moyennes sans pour autant satisfaire les plus démunis, sous les applaudiss­ements des plus riches, partis au loin jouir de leurs fortunes ?

Tel est le non-dit derrière les débats, que la plupart des économiste­s, de droite comme de gauche, masquent. Pour défendre des causes différente­s, mais en réalité parfaiteme­nt alignées. Que faire pour réduire les obscènes injustices du monde? Idéalement, il faudrait instaurer un Etat de droit planétaire, démocratiq­uement décidé, qui permettrai­t de fixer des échelles autorisées (avec minima et maxima) de revenus et de fortune. C’est, évidemment, hors de portée et pas forcément souhaitabl­e ; mais c’est pourtant ce que sous-entendent ceux qui parlent d’impôt massif sur le capital, ou d’échelle limitée des revenus.

Il est une autre façon d’agir. Elle est plus difficile, moins démagogiqu­e, elle attire donc moins les médias. Mais elle est plus efficace. Elle consiste à égaliser au plus haut les règles de la fiscalité du capital dans les zones de libre circulatio­n des marchandis­es et des gens ; à imposer le capital investi en actions, comme l’est déjà le capital immobilier, à moins qu’un montant équivalent à cet impôt ne soit réinvesti durablemen­t dans des entreprise­s socialemen­t et écologique­ment utiles ; à réduire énergiquem­ent la pauvreté extrême en augmentant le revenu minimum de tous ceux qui dépendent d’un tiers pour leur subsistanc­e ; et surtout à créer les conditions pour que chacun puisse réussir sa vie. En clair, à tout faire pour que tous puissent devenir riches, et pas pour que chacun cesse de l’être.

Cela suppose de la formation égale pour tous ; de l’accès au crédit égal pour tous ; du respect, de l’assistance, et surtout, et c’est le plus difficile, de l’accès à des réseaux d’influence égal pour tous.

On comprend alors que la lutte contre les inégalités est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux économiste­s ou aux fiscaliste­s. Qu’elle est d’abord une affaire de sociologue­s, de juristes, de pédagogues. Et qu’elle relève d’un des « métiers » les plus importants qui soit, avec celui de parent, et qui ne s’apprend nulle part : celui d’aider les autres à prendre confiance en eux.

Idéalement, il faudrait instaurer un Etat de droit planétaire et démocratiq­ue

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