CAPITAL, TRAVAIL ET MONDE
Les débats du jour nous rappellent une évidence : si l’on veut soulager la misère des plus pauvres et réduire les inégalités qui se creusent aujourd’hui à l’échelle du monde, la seule façon est de prendre l’argent aux très riches (et pas seulement aux moins pauvres).
C’est bien ce que proposent les économistes, oubliant que le monde ne se réduit pas à une tarte aux pommes dont on pourrait modifier à sa guise la répartition des parts : dans un monde où, presque partout, la liberté de circulation des capitaux est devenue la règle, les très riches disposent de capitaux et pas seulement de patrimoines ; ils ont des richesses nomades qu’ils peuvent exporter s’ils veulent fuir leur taux d’imposition. Bien des débats à la mode sur « un nouveau contrat social » ou sur « une nouvelle répartition du capital mondial » oublient cette évidence : même si on le regrette, les capitaux votent aussi.
Aussi, dans bien des pays, comme on ne réussit pas à imposer justement les très riches (de peur de les voir partir ou parce qu’ils sont déjà partis), on prend surtout à ceux qui ont un peu de patrimoine pour le donner à ceux qui n’en ont pas du tout. Terrible conclusion : une véritable réduction des inégalités est incompatible avec la liberté de circulation des capitaux. Cela conduirait à penser qu’il faut revenir sur cette liberté de circulation des capitaux, refermer nos frontières et interdire aux entreprises de gérer leur trésorerie, et aux particuliers d’obtenir librement des devises, pour leurs affaires, leurs voyages, leurs achats, leurs vacances. Possible ? Peut-être.
Mais sans cette liberté, au moins partielle, on ne peut espérer attirer des investissements étrangers, ni les voir créer des emplois. On ne peut que fermer ses frontières aux biens, aux services, aux idées et aux gens. Tous les exemples historiques le démontrent.
Alors ? Faut-il renoncer à réduire les inégalités ? Ou faut-il se contenter de prendre aux classes moyennes sans pour autant satisfaire les plus démunis, sous les applaudissements des plus riches, partis au loin jouir de leurs fortunes ?
Tel est le non-dit derrière les débats, que la plupart des économistes, de droite comme de gauche, masquent. Pour défendre des causes différentes, mais en réalité parfaitement alignées. Que faire pour réduire les obscènes injustices du monde? Idéalement, il faudrait instaurer un Etat de droit planétaire, démocratiquement décidé, qui permettrait de fixer des échelles autorisées (avec minima et maxima) de revenus et de fortune. C’est, évidemment, hors de portée et pas forcément souhaitable ; mais c’est pourtant ce que sous-entendent ceux qui parlent d’impôt massif sur le capital, ou d’échelle limitée des revenus.
Il est une autre façon d’agir. Elle est plus difficile, moins démagogique, elle attire donc moins les médias. Mais elle est plus efficace. Elle consiste à égaliser au plus haut les règles de la fiscalité du capital dans les zones de libre circulation des marchandises et des gens ; à imposer le capital investi en actions, comme l’est déjà le capital immobilier, à moins qu’un montant équivalent à cet impôt ne soit réinvesti durablement dans des entreprises socialement et écologiquement utiles ; à réduire énergiquement la pauvreté extrême en augmentant le revenu minimum de tous ceux qui dépendent d’un tiers pour leur subsistance ; et surtout à créer les conditions pour que chacun puisse réussir sa vie. En clair, à tout faire pour que tous puissent devenir riches, et pas pour que chacun cesse de l’être.
Cela suppose de la formation égale pour tous ; de l’accès au crédit égal pour tous ; du respect, de l’assistance, et surtout, et c’est le plus difficile, de l’accès à des réseaux d’influence égal pour tous.
On comprend alors que la lutte contre les inégalités est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux économistes ou aux fiscalistes. Qu’elle est d’abord une affaire de sociologues, de juristes, de pédagogues. Et qu’elle relève d’un des « métiers » les plus importants qui soit, avec celui de parent, et qui ne s’apprend nulle part : celui d’aider les autres à prendre confiance en eux.
Idéalement, il faudrait instaurer un Etat de droit planétaire et démocratique