L'Express (France)

COMMENT SE DIRE ADIEU

Un bref communiqué, une allocution solennelle, une chaise vide : à chaque président sa manière d’écrire le mot fin de son histoire avec les Français.

- E. M.

Convaincre une majorité d’électeurs pour entrer à l’Elysée est une chose, pas simple. Cela s’appelle mener une campagne présidenti­elle. Choisir les mots pour trouver la sortie en est une autre, du genre délicat. Cela s’appelle tirer sa révérence. Il est fortement recommandé de ne pas se rater, car tout le monde se souvient de la manière dont chacun de nos chefs d’Etat (à l’exception de Georges Pompidou, mort en fonction) a écrit le mot fin de son histoire avec les Français.

« Je viens ce soir vous dire très simplement au revoir. » Très simplement, c’est vraiment l’expression qui convient. Le 19 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing parle pendant sept minutes et vingt-sept secondes mais, pas de chance pour lui, ce sont sept secondes de silence, puis dix secondes de gestuelle, entrecoupé­es des seuls mots « Au revoir », qui marquent à jamais les mémoires. Il se lève, quitte la pièce, laissant un fauteuil vide. En 2006, il expliquera dans L’Express : « Je n’avais pas réalisé que la porte était si loin. »

Celui qui est parti « très simplement », c’est le général de Gaulle. Le 25 avril 1969, deux jours avant le référendum sur le Sénat et la régionalis­ation, il quitte l’Elysée pour Colombey. Il sait que le non va gagner. Le dimanche, vers 22 h 30, il demande au secrétaire général de l’Elysée de rendre public son communiqué à minuit. Il est 0h11, le lundi, quand l’AFP publie un flash : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui, à midi. »

Certaines phrases restent inoubliabl­es. François Mitterrand est expert en la matière. Son vrai discours d’adieu, il le prononce lors de ses voeux du 31 décembre 1994. Au dernier moment, il ajoute : « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » En guise de chute, il lance : « Bonne année et longue vie. » La veille de son départ, le premier président socialiste de la Ve République, hanté par le précédent Giscard, se contente d’un court texte : « Je vous dis ma gratitude pour tout ce que je vous dois. »

Il y a aussi celui qui dit au revoir deux fois. Ce n’est pas lui qui bégaie, c’est l’Histoire. Le 6 mai 2012, battu au second tour, Nicolas Sarkozy parle devant ses partisans à la Mutualité, à Paris. Celui qui a tant divisé les Français prononce un discours salué par tous : « Dans la vie d’un homme, présider aux destinées de la France, c’est quelque chose que je ne pourrai jamais oublier ». Quatre ans plus tard, il a encore un propos émouvant, comme si la défaite (à la primaire de la droite, cette fois) lui allait à merveille : « Ce n’est pas facile de vivre aux côtés d’un homme qui suscite parfois tant de passions. Il est donc temps maintenant pour moi d’aborder une vie avec plus de passion privée, et moins de passion publique. »

Jacques Chirac n’était pas du genre sentimenta­l, et c’est peut-être pour cela que son véritable salut aux Français ne fut pas lancé lors de sa dernière interlocut­ion (banale), mais deux mois avant, le 11 mars 2007, lorsqu’il évoque « cette France que j’aime autant que je vous aime ». François Hollande renouvelle le genre, en réussissan­t une autre performanc­e : ne pas s’adresser à la nation pour prendre congé, tout en laissant, comme ultime marque, non pas une blague, mais… un lapsus. Au cours de sa dernière interventi­on officielle, il disserte sur l’esclavage. A son côté, sur la tribune, se tient son ancien collaborat­eur, Emmanuel Macron, élu président trois jours plus tôt, quand soudain François Hollande parle, au lieu d’un crime de lèse-humanité, d’« un crime de lèse-majesté »…

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 ??  ?? Théâtral 19 mai 1981. Après un « Au revoir » solennel, Valéry Giscard d’Estaing se lève et quitte la pièce. A l’écran, reste sa chaise vide.
Théâtral 19 mai 1981. Après un « Au revoir » solennel, Valéry Giscard d’Estaing se lève et quitte la pièce. A l’écran, reste sa chaise vide.

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