ARCHIVES : L’HUMEUR CHANGEANTE DES FRANÇAIS
Entre fascination et désenchantement, l’opinion publique a connu bien des fluctuations, dont notre journal a été témoin.
L’EXPRESS DU 19 JUIN 1958
De Gaulle au pouvoir, le temps de l’euphorie
« Cette lente euphorie qui gagne les esprits, on peut se garder d’y glisser. Mais il faut la comprendre. Il y a longtemps que les Français n’avaient connu de conjoncture plus propre à les satisfaire. Ils avaient mal partout : mal à l’armée, mal à la démocratie, mal à l’Algérie, mal à l’économie. Et voilà qu’avec une pilule de cette drogue miracle nommée de Gaulle toutes leurs douleurs se sont assoupies. Comment n’en demanderaientils pas encore ? Comment ne s’espéreraient-ils pas guéris ? » Françoise Giroud
L’EXPRESS DU 21 AVRIL 1969
Les chances du non
« C’est, derrière les façades déjà décrépies d’une campagne pour la réforme régionale, une campagne présidentielle qui s’amorce. […] Entre les Français et le général de Gaulle, quelque chose apparemment s’est cassé. Le chef de l’Etat est respecté, mais le divorce existe. Il est perceptible dans toute la France. M. Alain Poher, président du Sénat, en inaugurant, jeudi, la campagne télévisée, dit : “Quand, dans un ménage, on ne se parle plus que par oui et par non, le divorce n’est pas loin.” » Georges Suffert
L’EXPRESS DU 16 JUIN 1969
Le besoin de mythes
« M. Pompidou, cantalien, sent qu’il y a dans chaque Français un déraciné inquiet. Une crainte de ce que sera la vie de ces enfants innombrables dont, il y a un an, tout le monde a entendu les clameurs. Une peur du chômage et surtout de revenir à la grande pénurie de la guerre et de l’après-guerre. Mais ce que M. Pompidou, homme de 58 ans, comprend moins, c’est à quel point les jeunes Français ont besoin de mythes. Ils veulent trouver des raisons à leur existence. De Gaulle les nourrissait quelque peu avec des mots et des gestes. M. Pompidou sait qu’il ne peut dire ni faire les mêmes. Pourtant, si, par manque d’imagination, il ne leur fournit pas une image d’eux-mêmes capable de les arracher à leur mélancolie, alors, un jour ou l’autre, ils repartiront à la recherche d’un autre héros ou d’un veau d’or idéologique. Désormais, M. Georges Pompidou est au pouvoir. Il lui reste à démontrer que l’imagination y est arrivée avec lui. » Georges Suffert
L’EXPRESS DU 19 MAI 1975
VGE, 365e jour à l’Elysée
« “Tout se passe, dit encore un de ses proches, comme s’il pensait à propos des Français : j’ai affaire à une belle âme, à un élève doué, qui a une tendance déplorable à se dissiper, mais qui peut mieux faire.” […] Pour lui, il est plus important de changer les gens que d’imposer les choses. Le président ne se sent pas contesté si l’un des projets qui lui tiennent à coeur est repoussé par le Parlement ou le pays. Il pense non pas avoir été trahi, mais n’avoir pas convaincu. Cela n’a pas seulement des avantages. La confiance dans les Français qu’il gouverne, l’intuition sur laquelle il s’appuie, la certitude qu’il faut les provoquer pour ouvrir un débat l’amènent parfois à brusquer la sensibilité collective. Ou à prendre un dîner en ville pour un sondage d’opinion. » Michèle Cotta
L’EXPRESS DU 4 SEPTEMBRE 1987
Pourquoi l’appellet-on Tonton ?
« Avant 1981, déjà, certains l’appelaient Tonton. Mais le diminutif était réservé à un cénacle d’initiés. La petite histoire veut que la formule facétieuse et presque impertinente ait été inventée par son chauffeur lorsqu’il allait chercher un neveu de François Mitterrand actif au Parti socialiste. Ledit neveu se mit à toujours désigner ainsi le premier secrétaire. Quelquesuns reprirent l’expression, mais elle ne se propagea que longtemps après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, sous l’impulsion du Canard enchaîné. […] A un premier niveau d’analyse, se faire appeler Tonton témoigne d’un succès non négligeable. Surtout lorsque des Français de tout bord vous désignent
ainsi. N’est-ce pas une façon médiatiquement prégnante d’être le “président de tous les Français” ? Certes, la gauche criera plutôt “Tonton, tiens bon!” ; du terme, la droite fera un usage plus neutre (“Tonton sera-t-il candidat ?”) ; mais elles communient dans le même vocable. […]
Penser la politique dans les catégories de la famille n’a rien d’inédit. Il est clair, pour nous borner à l’histoire de la Ve, que le rôle du père fut si magistralement occupé par le général de Gaulle que son adversaire de toujours ne peut guère y prétendre. […] L’oncle, le tonton, est celui qui écoute, celui auquel on se confie, celui qui comprend. […] François Mitterrand n’invente pas un nouveau style d’infantilisation, mais il en consacre, avec l’aide des citoyens passifs, une version différente, cool, conforme tout à la fois à l’air du temps et aux exigences de la cohabitation. Où la familiarité du tonton pourrait dissimuler la distance à l’égard d’un président devenu monarque symbolique. Neveux et nièces, les Français n’en restent pas moins des enfants. »
Olivier Duhamel et Luc Ferry
L’EXPRESS DU 15 MAI 2003
La France de Chirac
«Entre les Français et celui qui est depuis 1995 le premier d’entre eux, une constante alchimie est à l’oeuvre. Les Français ont de Jacques Chirac une certaine idée, qu’ils affinent avec le temps. “Il a une gueule, explique un vétéran de son cabinet. Il est dans le patrimoine du pays ; il incarne ce que l’on veut : un pote, un grand-père, un patron…” Dans Le Sacre (Plon), JeanMichel Gaillard, ancien conseiller de François Mitterrand, affirme d’ailleurs à Nicolas Domenach et à Maurice Szafran que, pour être élu, il faut “démontrer à tous et à chacun que vous êtes l’incarnation”. Et Jacques Chirac a une certaine idée des Français, qu’il modifie au fil des jours pour garder le contact avec eux. “Son vrai métier, résume le sondeur Jean-Marc Lech, c’est petit reporter : il va dans la société et y voit ce qu’est l’actualité.” » Christophe Barbier
L’EXPRESS DU 23 AOÛT 2007
Pourquoi il fascine
« Nicolas Sarkozy bénéficie d’un état de grâce, qui est la donnée constante d’une présidence qui débute. Au-delà, il a pour lui l’effet de surprise et la séduction du nouveau ; même une certaine perplexité attentiste et amusée joue en sa faveur. Pour l’heure, nous sommes dans cette expectative favorable. Pas un Français ne pense que Nicolas Sarkozy ne prend pas sa tâche à coeur, ce qui rompt avec l’image du cynisme des élites. Il y a de l’intérêt pour sa personne, pour sa façon de faire et de parler, ce qui ajoute à son crédit. Il ne me semble pas, pour autant, que l’opinion fasse preuve d’une fascination inconditionnelle. » Entretien avec Marcel Gauchet, par Christian Makarian
L’EXPRESS DU 7 NOVEMBRE 2012
Y a-t-il vraiment un chef à la tête de l’Etat ?
« Après six mois au pouvoir, soit 10 % de son mandat, François Hollande sait déjà qu’il est engagé dans une course contre le sablier. D’autant qu’il a en grande partie raté ce début. Raté dans son fonctionnement institutionnel, raté dans sa confrontation avec la crise, raté dans son lien avec les Français. Sa légitimité est intacte, son efficacité est entamée, son originalité est annihilée. François Hollande est devenu un président comme les autres, président affaibli d’un pays en proie au doute, comme tous ses prédécesseurs depuis trente ans. Une forme de normalité qu’il n’avait sans doute pas escomptée… » Christophe Barbier