L'Express (France)

Emily Blunt : “Je n’ai pas envie de faire semblant”

Dans Le Retour de Mary Poppins, Emily Blunt incarne la célèbre nounou. L’actrice a au moins autant de répondant que son personnage.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CARRIÈRE

Mary Poppins reçoit chez la reine d’Angleterre. Plus exactement, Emily Blunt, qui reprend le rôle de la nounou extraordin­aire tenu par Julie Andrews dans la version cultissime de 1964, donne ses interviews à l’ambassade du Royaume-Uni, à Paris. Soit à seulement quelques mètres de l’Elysée qui, deux jours plus tôt, était menacé d’être assailli par les gilets jaunes.

Encadrée par toute une armée de Mickeys de la production (Walt Disney), l’actrice britanniqu­e de 35 ans, arrivée dans la nuit de dimanche à lundi, se montre sereine. Ses chaperons lui avaient assuré qu’elle ne risquait rien ce jour-là, les émeutes parisienne­s n’ayant lieu que le samedi. N’étant pas concernée, elle n’aborde pas le sujet, mais s’intéresse volontiers à la difficulté de trouver une nourrice compétente. Elle est d’ailleurs ravie de la sienne, qui s’occupe de ses deux enfants, issus de son mariage avec John Krasinski, acteur réalisateu­r de Sans un bruit.

Belle transition pour parler (enfin) de cinéma et de son métier, qu’elle pratique depuis une quinzaine d’années, repérée par les cinéphiles dans le sensuel et vénéneux My Summer of Love, de Pawel Pawlikowsk­i (2004), remarquée par le grand public en perfide assistante de Meryl Streep dans Le Diable s’habille en Prada (2006).

Depuis, elle roule sur l’autoroute du succès, à côté de célébrités comme Matt Damon (L’Agence), Bruce Willis

(Looper) ou Tom Cruise (Edge of Tomorrow). Mais là, attention! Avec Le Retour de Mary Poppins, c’est elle qui tient le volant. Ou plutôt (voir critique page 112), le parapluie magique qui la transporte dans les airs. Atterrie sur le canapé d’un des gigantesqu­es salons de l’ambassadeu­r, elle trempe ses lèvres dans un verre d’eau. Sa délicatess­e n’a d’égale que sa distinctio­n. Le regard pétille, la bouche sourit, la confiance règne. On peut commencer.

l’express Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez regardé Mary Poppins ?

Emily Blunt J’avais 6 ans, je crois. C’est l’un des premiers films que je suis allée voir au cinéma. Ça laisse forcément un souvenir à part, proche à la fois d’une expérience fondatrice et de l’enchanteme­nt. Je pense qu’on est beaucoup dans ce cas-là, et j’espère bien que ce Retour de Mary Poppins suscitera chez tous les spectateur­s de la nostalgie et, pourquoi pas, les fera retomber en enfance.

Ce n’était pas trop lourd de reprendre ce personnage popularisé par Julie Andrews, qui a d’ailleurs refusé de faire une apparition dans cette nouvelle version pour vous laisser profiter pleinement du rôle ?

E. B. Evidemment que j’appréhenda­is, mais ma joie de jouer cette nounou emblématiq­ue l’a emporté sur le poids du personnage. L’incarner était un tel délice… Je vous assure, ce n’était que du bonheur. Pas une once de peur! L’idée était de trouver un juste milieu pour l’interpréte­r car, par rapport aux livres de Pamela Travers – que, petite, j’ai lus –, à l’écran elle est très différente. Chez Travers, elle est excentriqu­e, étrange, impertinen­te, vaniteuse et drôle. Ça fait beaucoup, n’est-ce pas ? Je devais saisir sa dualité, quelqu’un de strict et qui, en même temps, s’émerveille. Garder une part de candeur, mais aussi faire comprendre qu’elle est accro à l’adrénaline.

C’est dommage qu’on ne la voie pas à nouveau ranger la chambre des enfants, comme dans une scène culte du film de 1964…

E. B. D’abord, la chambre des enfants que je garde n’est pas si désordonné­e et ne nécessitai­t pas que Mary Poppins la range ! Ensuite, si vraiment vous êtes nostalgiqu­e de cette scène, revoyez le vieux film ! L’autre jour, un journalist­e m’a confié que la musique de la version originale lui manquait… Lui aussi n’a qu’à le revoir en DVD ou en VOD, on le trouve facilement.

D’accord, ne vous énervez pas ! Vous préférez qu’on parle de Sans un bruit, qui, cet été, a rencontré un succès phénoménal ?

E. B. Ah ! Si vous avez aimé, oui.

On a adoré !

E. B. Ça me fait tellement plaisir. Ce n’est pas de la politesse. Je suis très fière de ce film pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les gens qui jurent détester les films d’horreur l’ont adoré et que le succès popularise le genre. Moi-même je déteste voir des longsmétra­ges comme Saw… Je n’aime pas le gore. Mais Sans un bruit n’est pas sanglant, c’est un film d’auteur fantastiqu­e. Ensuite, il est signé par mon mari. Il savait que son projet plairait à un cercle d’initiés, mais il ne s’attendait pas à un tel résultat au box-office [340 millions de dollars dans le monde]. Ça lui donne une certaine assurance dans le métier. Il a prouvé de quoi il était capable. Pour lui, il y aura forcément un avant- et un après-Sans un bruit.

De la même manière qu’il y a une Emily Blunt d’hier, qualifiée de « brit punk » quand, par exemple, vous jouiez une fumeuse de joints, les cheveux teints en bleu et violet dans Sunshine Cleaning, et une Emily d’aujourd’hui, mère de famille combative dans Sans un bruit ou nounou rigoureuse dans Le Retour de Mary Poppins…

E. B. Je suis restée la même. A la fois fan de yoga et de pubs anglais ! Il n’y a que les personnage­s qui changent. Peu m’importe le genre. J’ignore ce qui m’attire ou pas, mais, au bout de vingt pages de scénario, je dis oui ou non tout de suite. J’ai la chance de pouvoir choisir ce que je veux et je suis sélective. Ne serait-ce que parce qu’avec mes deux enfants je ne peux pas tourner trois films par an. Un ou deux, grand maximum. Je me suis d’ailleurs éloignée de Hollywood. Je vis à New York, plus proche de ma sensibilit­é européenne – et de Londres, où se trouve ma famille.

Désormais reconnue dans le monde entier, vous n’apparaisse­z sur aucun réseau social, contrairem­ent à vos amis George Clooney, Matt Damon et les autres. Comment cela se fait-il ?

E. B. Cela ne me tente pas du tout. Mes amis, comme vous dites, pourraient me conseiller, me guider, mais je n’aime pas cela. Je n’en éprouve ni le besoin ni le désir. Déjà que je ne réponds pas souvent aux SMS, ce n’est pas pour raconter ma vie ou faire de l’humour sur les réseaux sociaux, dans le seul but de « paraître » ! Je n’ai pas envie de faire semblant.

Est-ce vrai que vous êtes devenue comédienne à cause d’un handicap ?

E. B. Oui et non. Il y a handicap et handicap. Le mien était assez mineur : je bégayais. Je voulais être traductric­e à l’ONU. Ma mère, qui était comédienne, mais avant tout une excellente linguiste [désormais, elle enseigne l’anglais], m’a aiguillée vers le théâtre pour me soigner. A 12 ans, un professeur m’a fait prendre un accent pour un personnage et… je ne bégayais plus. J’ai travaillé cela pendant quelques années, jusqu’au jour où un agent est venu voir une pièce et m’a repérée. Et là, ma vocation m’est littéralem­ent tombée dessus.

« Le souvenir laissé par Mary Poppins fut une expérience fondatrice »

« Les personnage­s changent ; moi je suis la même, fan de yoga et de pubs anglais »

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