Les Géo Trouvetou du dico
Postvérité, infox, cyberdépendance, hydrolienne, cybermonnaie… Mais d’où viennent ces mots traduits de l’anglais qui racontent le monde d’aujourd’hui ? Enquête auprès d’experts qui se remuent les méninges.
« Fausse nouvelle » ? « Information fausse » ? « Information fallacieuse »? Ce jour-là, dans la tristounette salle Colette sise dans une annexe du ministère de la Culture, les membres du groupe d’experts « culture-médias » se remuent les méninges pour dénicher un équivalent à fake news, qui se répand à vitesse grand V dans les médias et les conversations de tous les jours – sans oublier les tweets de Donald Trump. Tout à coup, la proposition fuse, comme un éclair : « Pourquoi pas “infox” ? » Un terme clair, dynamique et, pour une fois, plus court que son rival anglais. Une géniale alliance d’« info » et « intox », parue au Journal officiel le 4 octobre dernier et aussitôt reprise un peu partout… Un écho aussi rarissime que mérité.
Ah, les membres des commissions de terminologie de la langue française ! On imagine de vieux barbons un tantinet rasoir, des rats de bibliothèques ne jurant que par leurs dictionnaires de grec et de latin, des conservateurs réprouvant toute innovation langagière postérieure à Corneille et… on fait erreur sur toute la ligne. Les intéressés ne sont pas dénués de culture générale, c’est une litote, mais ils ont le savoir gai et un amour du français partageur. Il faut les voir lancer des bons mots, se battre avec bienveillance et érudition pour ciseler une définition, rivaliser de rigueur et d’ingéniosité pour dénicher le terme qui fera mouche dans l’opinion. En plus, ils sont bénévoles.
Tout ce que Paris compte de modernes et de « branchés » se gausse d’eux ? Ils s’en moquent, persuadés à juste titre d’oeuvrer pour l’intérêt général. Leur noble mission est aussi simple à résumer que difficile à réaliser : enrichir le vocabulaire spécialisé, nommer les innovations techniques et trouver des équivalents aux anglicismes. Le succès n’est pas toujours au rendez-vous, évidemment, mais, au fil des ans, leur tableau de chasse s’est convenablement garni. « Postvérité », « cyberdépendance », « hydrolienne », « action de groupe »
(au lieu de class action) ? C’est eux. « Enfant du numérique » (digital native), « solo » (one-man-show), « cybermonnaie »? Toujours eux. Cet automne, ils ont encore déniché « télécouter » (à la place de « podcaster »), mais aussi « jeu d’évasion » (pour escape game) et « directeur de séries » (pour showrunner). Pas si mal…
ÉLOGE DE LA LENTEUR
Leur seul défaut ? Arriver souvent un peu tard, sachant qu’en la matière l’habitude compte pour beaucoup. Voyez la fameuse « infox ». Il se sera passé de longs mois entre son surgissement et sa parution au Journal officiel. C’est le revers de la médaille d’une méthodologie aussi exigeante, donc chronophage. Car les groupes d’experts spécialisés (culture-médias, mais aussi défense, environnement, droit, automobile, etc.) n’ont pas le pouvoir de décision final. Ils se contentent de transmettre leurs idées à la Commission d’enrichissement de la langue française – l’instance qui examine et amende leurs suggestions, qu’il s’agisse des termes euxmêmes, de leurs définitions ou de leurs notes explicatives. D’où de longues délibérations et, parfois, de nouveaux allers et retours, d’autant que ladite instance s’oblige à ne jamais voter, considérant que le bon terme est celui qui fait consensus. Ce n’est qu’à la fin de ce parcours du combattant lexicographique – et après validation par l’Académie française – que la trouvaille est publiée au JO, devenant ainsi obligatoire pour les administrations.
Cette démarche est lente, mais elle a aussi, c’est vrai, d’incontestables vertus, que revendique Pierrette Crouzet-Daurat, la pétillante et enthousiaste responsable de la mission terminologie au sein de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (ouf !), le bras armé du ministère de la Culture dans ce domaine : « Le fait de confronter des experts et des néophytes nous permet d’être à la fois précis et compréhensibles par le plus grand nombre. Il s’agit d’une condition nécessaire pour que les néologismes soient adoptés par la population. »
En la matière, les médias, les artistes et les hommes politiques ont un pouvoir prescripteur, qu’ils manient hélas avec une redoutable parcimonie. « Quand Laurent Fabius est arrivé au Quai d’Orsay, il a choisi de dire “zone euro” et non euroland. Le terme a pris immédiatement », se
Evidemment, quand Emmanuel Macron parle de « start-up nation », cela n’aide pas
souvient Pierrette Crouzet-Daurat. A l’inverse, quand Emmanuel Macron parle de «start-up nation» ou du « système le plus bottom up de la terre », cela n’aide évidemment pas. « La plupart des ministres considèrent que le choix d’un mot français est ringard, vieillot, voire réactionnaire », se désole un haut fonctionnaire sous le sceau de l’anonymat.
Qu’importent ces vents contraires ! La Commission d’enrichissement de la langue française se réunit sans faiblesse chaque mois sous la présidence d’un représentant de l’Académie française. Depuis 2016, c’est Frédéric Vitoux, grand spécialiste de Céline, qui assume cette charge avec ardeur. « J’ai toujours éprouvé une véritable passion pour la langue et eu le goût des mots, explique-t-il. Je suis d’ailleurs membre de la commission du dictionnaire, ce groupe restreint d’académiciens qui s’emploient à faire avancer ledit dictionnaire. Chacune de ces missions nourrit l’autre. » A ses côtés : un brillant aréopage où l’on relève – notamment – une physicienne, une avocate générale à la Cour de cassation, un ingénieur des mines, un éditeur scientifique, un professeur de lettres, un diplomate, une romancière et, bien sûr, quelques lexicographes de haut rang. Une trentaine de personnes en tout, aux parcours volontairement diversifiés.
Vaille que vaille, entre 200 et 300 mots sont ainsi imaginés chaque année avant d’être rendus accessibles sur le site et l’appli FranceTerme. Ce qui ne veut pas dire qu’ils entrent tous dans le langage courant. Si « covoiturage » s’est imposé face à car pool, et « navette », face à shuttle, « en flux » peine à chasser streaming, et, sans vouloir décourager personne, on doute que « volontariat agrobio » parvienne jamais à déloger woofing. Nos valeureux terminologues proposent, mais les Français disposent…