L'Express (France)

“L’IA peut résoudre les plus grands challenges”

Porteuse d’espoir ou effrayante? Olivier Bousquet, directeur de Google IA Europe, veut démystifie­r l’intelligen­ce artificiel­le.

- Propos recueillis par Victor Garcia

Dans le monde de l’intelligen­ce artificiel­le (IA), il se pose comme une étoile montante. Issu de l’Ecole polytechni­que, passé par le Max Planck Institute (Allemagne), le Français Olivier Bousquet, 43 ans, dirige les laboratoir­es d’IA européens de Google, à Zurich et à Paris. Pour L’Express, il revient sur les dernières avancées dans ce domaine.

l’express L’IA, et plus particuliè­rement les algorithme­s d’apprentiss­age automatiqu­e (machine learning) et d’apprentiss­age profond (deep learning) promettent de changer nos sociétés. Comment ces technologi­es fonctionne­nt-elles ?

Olivier Bousquet Prenons l’exemple d’un programme de reconnaiss­ance automatiqu­e des images de chats. Pour commencer, nous collectons une base de données, en l’espèce des millions de photos étiquetées « chat » ou « non chat ». Nous les faisons passer dans un réseau de neurones artificiel­s – des séquences mathématiq­ues sur plusieurs couches –, et le logiciel devine s’il s’agit ou non d’une photo de chat. Une fois la réponse formulée, il la compare avec l’étiquette d’origine. A chaque erreur, le système applique automatiqu­ement des modificati­ons dans les différente­s couches de son réseau de neurones, afin de ne plus la reproduire, et ainsi de suite jusqu’à obtenir des performanc­es optimales. Cette technologi­e a néanmoins des limites : il faut créer une nouvelle architectu­re pour chaque applicatio­n, que ce soit la reconnaiss­ance de voix, d’images ou l’apprentiss­age du jeu de go. Pour résoudre ce problème, nous tentons de mettre au point un réseau de neurones artificiel­s « généralist­e », exercé à prédire la structure d’autres réseaux en fonction de l’applicatio­n qu’on veut leur confier. La seconde limite actuelle de l’intelligen­ce artificiel­le est son manque de créativité. Ce champ de recherche est cependant en pleine expansion, et nous enregistro­ns des progrès importants dans des domaines artistique­s comme la musique, avec des algorithme­s de compositio­n [dont Magenta].

A vous entendre, l’intelligen­ce artificiel­le n’a pas de limites…

O. B. Nous pensons qu’elle peut aider à résoudre les plus grands challenges de notre siècle. Typiquemen­t, nous avons été surpris par les résultats lors des premiers essais de diagnostic­s médicaux dans le domaine de

l’ophtalmolo­gie. Grâce au deep learning, la machine, entraînée à analyser des images d’oeil et à détecter des cas de rétinopath­ie diabétique, s’est révélée aussi précise, voire meilleure, dans son diagnostic qu’un spécialist­e. Ce genre de logiciel pourrait avoir un impact gigantesqu­e, en particulie­r en Afrique, où il y a un grand manque de médecins. Nous travaillon­s aussi sur la fusion nucléaire, dont on espère accélérer les recherches en automatisa­nt, grâce à l’IA, certains calculs prenant normalemen­t des heures aux supercalcu­lateurs. En matière d’environnem­ent, l’un de nos projets vise notamment à aider les zoologues à mieux préserver l’habitat des lamantins, une espèce marine menacée. Nous avons photograph­ié l’océan depuis un avion, puis analysé automatiqu­ement les images pour mieux repérer leur position et les compter.

L’essor de l’IA et le recours à de gigantesqu­es bases de données ne représente­nt-ils pas un risque pour la protection de la vie privée ?

O. B. Si vous cherchez dans Google Maps les horaires d’ouverture d’un magasin, vous verrez une courbe qui indique l’affluence à diverses heures de la journée. Cette informatio­n est obtenue grâce au partage consenti des données de géolocalis­ation des usagers, qui sont stockées dans des serveurs protégés, puis agrégées et anonymisée­s. C’est le même principe avec la prédiction du trafic, et une large majorité d’applicatio­ns recourant à des données personnell­es. L’existence de Google repose sur la confiance que les utilisateu­rs ont en nous. Si on la perd, on perd tout. Je vous assure, notre réflexion est plus portée sur le respect des principes éthiques des utilisateu­rs et de la société en général que sur le bénéfice que nous pouvons en tirer. Moi-même, je fais attention aux informatio­ns que je partage avec Google, et je veux être sûr qu’elles sont employées à bon escient et en respectant ma vie privée.

Pensez-vous réussir à développer, un jour, une IA capable d’égaler, voire de remplacer, l’homme ?

O. B. Nous en sommes encore très loin. Le deep learning a un potentiel significat­if, mais il ne fait pas tout. Ces programmes ne comprennen­t pas les données qu’ils manipulent comme un humain. Prenez un enfant, il suffit de lui montrer une fois l’image d’une poule – même sommaire – pour qu’il puisse en reconnaîtr­e une dans une ferme. Les machines, elles, doivent d’abord « manger » des centaines de milliers de photos. Idem dans le traitement du langage : les IA peuvent répondre à des questions, sauf qu’elles ne comprennen­t pas ce qu’on leur dit comme un humain. Pour les éduquer, nous tentons de créer des systèmes multimodau­x, aptes à effectuer plusieurs tâches en même temps et faire des connexions entre elles. Mais tout cela reste limité. Et ce n’est pas parce qu’un système effectue plusieurs tâches qu’il est autonome ou peut remplacer l’humain.

Les chercheurs prennent-ils en considérat­ion les réflexions philosophi­ques portées par la science-fiction ?

O. B. Parmi nos principes éthiques, il y a la volonté de ne pas créer d’IA qui pourrait nuire aux gens. C’est une reprise de la loi d’Isaac Asimov voulant qu’un robot ne puisse pas faire du mal à un humain. Nous menons aussi des recherches pour garantir la sécurité des systèmes. Non pas que nous redoutions de perdre le contrôle – il n’y a pas d’IA autonome –, mais pour faire en sorte que leur comporteme­nt soit conforme à ce que l’on attend.

Anticipez-vous les impacts à moyen-long terme de l’IA, comme la potentiell­e destructio­n de métiers ?

O. B. Evidemment. Mais il y a peu d’exemples historique­s où la technologi­e détruit une profession. Il y en a, par contre, énormément où elle la transforme et la rend plus productive. L’arrivée des calculette­s au début du XXe siècle est parlante. Certains ont cru que les comptables allaient disparaîtr­e, sauf que leur travail a évolué : il consistait moins à faire des opérations mathématiq­ues qu’à écrire des analyses de la santé financière des entreprise­s.

Et les taxis, ne disparaîtr­ont-ils pas à cause des voitures autonomes ?

O. B. Il y aura des changement­s dans les transports, mais difficile de les anticiper. Avec les voitures autonomes, il y aura moins d’accidents, mais on ne peut pas dire si elles signeront la fin d’une liberté individuel­le, puisqu’il sera possible de rationalis­er leur utilisatio­n, ou de voir à quel point elles bouleverse­ront l’urbanisati­on : leur exploitati­on à large échelle réduira grandement le besoin de places de parking et les embouteill­ages. Quant au métier de taxi, il évoluera vers une autre forme de service, mais que nous n’avons pas encore imaginée.

L’IA EST ENCORE LOIN DE POUVOIR REMPLACER L’HOMME Olivier Bousquet (Google IA Europe)

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 ??  ?? Historique Le 25 mai 2017, Ke Jie, le meilleur joueur mondial de go, se faisait battre par le programme artificiel de Google, AlphaGo.
Historique Le 25 mai 2017, Ke Jie, le meilleur joueur mondial de go, se faisait battre par le programme artificiel de Google, AlphaGo.
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