L'Express (France)

RÉFORMER L’ÉTAT, PROMOUVOIR LA POLITIQUE

- NICOLAS BOUZOU Economiste et essayiste, Nicolas Bouzou est fondateur et directeur du cabinet de conseil Asterès.

Le débat public établit traditionn­ellement une identité entre la réforme de l’Etat et la baisse de la dépense publique. La première serait au service de la seconde. Il ne faut pas s’étonner que ladite réforme soit sans cesse repoussée et que la dépense publique augmente sans discontinu­er, la seule ambition des majorités successive­s étant de la « maîtriser ». Diminuer la dépense publique ne peut pas constituer un objectif final de la politique économique, et ce d’autant que, pour la majorité de nos concitoyen­s, une telle diminution est anxiogène. Elle évoque de multiples moins : moins d’écoles, moins d’hôpitaux, moins de gares… Après, les débatteurs peuvent toujours expliquer qu’il ne s’agit pas de dégrader la qualité des services publics mais de rendre l’administra­tion plus efficace, la bataille des idées est perdue. La politique a besoin de sens. Il faut expliquer pourquoi on réforme, quel est le projet. La finalité ne peut être exclusivem­ent financière.

S’il est nécessaire de réformer l’Etat, c’est certes pour redonner de l’espace à la société civile (ce à quoi une baisse des prélèvemen­ts obligatoir­es participer­ait), mais aussi pour redonner du pouvoir à la politique et à la démocratie. Fort de 2,4 millions de fonctionna­ires, l’Etat français est pléthoriqu­e (je ne compte même pas la fonction publique territoria­le ici). Ce nombre lui donne un pouvoir d’autant plus important que nos fonctionna­ires sont, dans l’immense majorité, compétents. Dans de nombreux ministères, ils maîtrisent les dossiers gouverneme­ntaux sur le bout des doigts. Simplement, toute institutio­n a tendance à vouloir perdurer dans son être et donc à asseoir son pouvoir. Cet Etat prend donc ses aises et suit sa pente naturelle, qui est de vouloir tout contrôler : les citoyens mais aussi les politiques.

Face à cette administra­tion puissante, le pouvoir politique est souvent désarmé, d’autant qu’il a pris de mauvaises habitudes. D’une part, les gouverneme­nts intègrent de plus en plus d’individus quasi inconnus et qui ont des difficulté­s à imposer leur point de vue. D’autre part, les majorités successive­s (l’actuelle ne fait pas exception) appliquent des programmes qui ont été bâclés pendant les campagnes électorale­s. L’administra­tion a de son côté le temps et la compétence. Le gouverneme­nt se retrouve à improviser. La réforme de la taxe d’habitation illustre ce problème. Les mesures sur le pouvoir d’achat annoncées récemment par le gouverneme­nt ont aussi donné lieu à d’homériques allers et retours entre le pouvoir politique et les administra­tions, admirablem­ent décrits par un Gorafi drôle et réaliste : « Le gouverneme­nt annule, puis rétablit, puis annule, puis rétablit, puis annule, puis rétablit… les mesures annoncées en novembre aux gilets jaunes. »

Pour que la politique retrouve du pouvoir, elle doit retrouver de l’oxygène. Evidemment, le recrutemen­t des ministres doit être plus qualitatif. Mais l’Etat lui-même doit être moins pléthoriqu­e, moins directif. Chaque ministère doit être recentré sur quelques missions, éventuelle­ment aidé par des agences indépendan­tes. Le nombre de strates hiérarchiq­ues doit être radicaleme­nt abaissé. Le spoil system, qui consiste à nommer des hauts fonctionna­ires qui sont en accord avec la politique gouverneme­ntale, doit être véritablem­ent appliqué. L’actuelle majorité a diminué le nombre de membres de cabinets ministérie­ls, accentuant en cela le déséquilib­re entre l’administra­tion et le pouvoir ministérie­l, au profit de la première. Du coup, des ministres et des cabinets épuisés se battent pour faire appliquer leur propre politique par leur propre administra­tion.

Le redresseme­nt de notre pays part de cette réforme de l’Etat. C’est une exigence économique, certes, mais aussi et surtout démocratiq­ue.

Le nombre de strates hiérarchiq­ues doit être radicaleme­nt abaissé

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France