L'Express (France)

Affaire Daval : dans le huis clos des nouveaux aveux

Confronté à la famille d’Alexia le 7 décembre, Jonathann a de nouveau avoué le meurtre de sa femme. Récit d’une journée sous tension.

- Par Claire Hache et Thibaut Solano C. H. et T. S.

C’est un huis clos à cinq, sans avocats, ni juge, ni procureur, ni forces de l’ordre. Une scène aussi intense qu’inhabituel­le. Au troisième étage du palais de justice de Besançon (Doubs), le 7 décembre 2018, Jonathann Daval a fait face pendant plusieurs minutes à sa bellefamil­le pour la première fois depuis dix mois et sa mise en examen pour le meurtre de sa femme Alexia. Seul.

Il est environ 15 h 30, ce vendredi, quand les parents de la jeune femme, Jean-Pierre et Isabelle Fouillot, sa soeur Stéphanie et son compagnon Grégory Gay, le rejoignent dans une petite salle exiguë, au fond d’un couloir, un box que les avocats utilisent habituelle­ment pour échanger avec leurs clients.

La rencontre a lieu avec l’accord du juge d’instructio­n. Mais plusieurs témoins de la journée, rompus aux arcanes judiciaire­s, assurent n’avoir jamais vu une telle scène : la famille de la victime et le meurtrier présumé rassemblés dans la même pièce, à l’abri des regards extérieurs. Enfin… presque à l’abri : il y a bien une vitre sans tain derrière laquelle se trouve un agent pénitentia­ire, ainsi qu’une escorte plantée devant la porte. Jonathann Daval, sweat-shirt gris sur jean bleu foncé, n’est même pas menotté.

Quelques minutes plus tôt, l’informatic­ien de

34 ans a craqué. A nouveau. Dans le bureau du juge, l’époux aux deux visages est revenu sur sa dernière version des faits, dans laquelle il accusait du crime son beau-frère, Grégory Gay. Confronté à Isabelle, sa belle-mère, dont il est proche au point de l’appeler « maman », Jonathann Daval s’est effondré et a reconnu avoir tué Alexia un soir de dispute, le 27 octobre 2017. Un retour à ses premiers aveux formulés en janvier dernier.

« UN MOMENT ÉMOTIONNEL TRÈS FORT »

Mais, à cet instant, dans le box, après des mois de revirement­s, c’est un soulagemen­t que ressentent les parents de la victime. Enfin, le jeune homme a écarté la thèse de la machinatio­n familiale. « C’était un accident… Tout est allé très vite », lâche-t-il en sanglots. De retour d’une soirée raclette chez les Fouillot, à Gray (Haute-Saône), une dispute fatale aurait éclaté avec Alexia, des coups auraient été échangés. « Mais tu te rends compte ? Eux ne te le pardonnero­nt jamais », lui lance son beau-père, en désignant Grégory Gay et sa compagne. « De toute façon, je ne le mérite pas », lâche Daval, en pleurs. Excédé, son beau-frère ne reste qu’une poignée de minutes. « Tu vas parler au juge. C’est tout ce que j’ai à dire », lui intime-t-il avant de tourner les talons avec sa femme.

« Il faut replacer cet épisode très particulie­r dans le contexte tout aussi particulie­r de la confrontat­ion qui a précédé, un moment émotionnel très fort et un geste d’une rare humanité. La mère d’Alexia a laissé entendre qu’elle serait prête à lui pardonner. Elle l’a pris dans ses bras quand il a avoué », justifie Etienne Manteaux, le procureur de la République de Besançon.

Ce huis clos marque en effet l’épilogue d’une journée capitale pour l’enquête. A la demande des parties civiles, le juge avait organisé quatre face-à-face entre le mis en examen et les membres de sa belle-famille. Le premier a opposé Grégory Gay à son accusateur. « Jonathann était fuyant, comme absent, se souvient son beau-frère. Il ne m’a regardé qu’une fois, lorsque je lui ai demandé s’il maintenait sa version m’incriminan­t. Il a répondu “oui”. »

AIDE-MOI. SI TU NE LE RECONNAIS PAS, TU NE TE RECONSTRUI­RAS JAMAIS

Grégory Gay avait minutieuse­ment préparé une liste d’une dizaine de questions pour le mettre face à ses contradict­ions et tenter de lever le voile sur plusieurs éléments troublants. Comme la présence dans le sang et les cheveux d’Alexia de médicament­s, dont un est interdit à la vente depuis des années, et surtout incompatib­les avec son désir de maternité. Rien n’y a fait. Jonathann a inlassable­ment rétorqué : « Je ne sais pas. »

Cet échange stérile s’est répété en fin de matinée avec Stéphanie, la soeur d’Alexia. Mais « dans les affaires criminelle­s, rien ne se passe comme prévu », note Gilles-Jean Portejoie, l’avocat de Grégory Gay.

La pause déjeuner est brève, mais elle débouche sur une nouvelle stratégie des parties civiles : il faut quitter le rapport de force pour le registre de l’émotion. C’est ce que va faire Isabelle Fouillot. « Elle est entrée dans la pièce et elle a simplement dit “bonjour Jonathann”, précise Randall Schwerdorf­fer, l’avocat du mis en cause. Elle est la seule à l’avoir fait. D’un coup, elle a montré qu’elle le respectait et cela a fait tomber la pression. »

UNE ALTERCATIO­N LOIN D’ÊTRE ANECDOTIQU­E

La mère d’Alexia est venue avec une photo de sa fille et de son chat, Happy. Elle sait que Jonathann est très attaché à cet animal de compagnie, dont il demande régulièrem­ent des nouvelles. Face au cliché, le trentenair­e fond en larmes. Il plie mais ne rompt pas. Il faut attendre une heure, au cours de la confrontat­ion, tandis que le juge est avec sa greffière en pleine retranscri­ption des échanges, pour que Daval mette un genou à terre. Au sens propre comme au figuré. La mère d’Alexia l’implore de dire la vérité : « Aide-moi, je souffre tellement de ne pas savoir. Si tu ne le reconnais pas, tu ne te reconstrui­ras jamais. » En quelques mots sanglotés, Jonathann avoue alors de nouveau le meurtre. Et met hors de cause son beau-frère.

Au même moment, un autre orage gronde. Tandis que Grégory Gay patiente dans une salle voisine, il découvre que des bribes de la confrontat­ion ont fuité sur un site d’informatio­ns. Plus tard, en entrant dans le bureau du juge, son avocat, Gilles-Jean Portejoie, est furieux : « Quelqu’un balance tout à la presse ! » Les soupçons se tournent vers le conseil de Jonathann Daval, Randall Schwerdorf­fer. Présent également, celui-ci jette son téléphone sur le bureau pour se défendre : « Vous pouvez vérifier, je n’ai rien fait fuiter ! » Le ton monte et Grégory Gay se poste devant lui, le visage à quelques centimètre­s du sien : « Sans blague ? »

Dans l’assistance, on craint qu’un coup ne parte. Le procureur pose sa main sur le bras de Grégory Gay pour le calmer. Révélatric­e de tensions qui couvent depuis de longs mois, l’altercatio­n est moins anecdotiqu­e qu’il y paraît. Une guerre des nerfs se joue entre défense et parties civiles, souvent par médias interposés, au gré des avancées de l’enquête et des versions successive­s de Daval.

Un nouveau juge doit le réinterrog­er en début d’année sur son revirement. Que s’est-il réellement passé dans le pavillon rose du couple le 27 octobre 2017 au soir ? A-t-il transporté et tenté de brûler, seul, le corps ? L’ex-gendre idéal n’a pas encore livré tous ses secrets.

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Imminent Le suspect à son arrivée au palais de justice de Besançon, quelques heures avant le dénouement.

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