L'Express (France)

Le roman du président, par Christophe Barbier

Où le chef de l’Etat tourne comme un lion en cage, puis en bourrique à cause de Benalla, et enfin la page de 2018. Episode LXXXIII.

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22 décembre, 14h38

Emmanuel Macron déboule dans le salon. Assise dans un fauteuil face à la mer, Brigitte termine ses mots croisés. « Bibi, j’en peux plus, faut que je sorte! — Pas question, Biquet ! On a dit invisibles. Si tu sors, dans un quart d’heure ta photo est sur Internet. — Mais je vais devenir fou, enfermé ici toutes les vacances ! — Fais de la gym, bouquine, téléphone à ton Premier ministre, je ne sais pas… Tiens, il est bientôt 15 heures, Trump est levé, appelle-le pour parler de la Syrie. — Pour qu’il se foute de ma gueule en m’interrogea­nt sur les gilets jaunes ? Plutôt crever… Juste une heure, pour me dégourdir. Je vais au tabac-presse et je reviens. — Ecoute, Anémone et JeanCharle­s ont la gentilless­e de nous accueillir pour les fêtes, pas question de leur attirer des ennuis. Tu veux qu’ils se fassent taguer la clôture de leur roseraie par des mélenchoni­stes? Mais qu’est-ce qui t’attire dehors, Biquet ? Il fait même pas beau. — Tu peux pas comprendre… Je n’ai pas fait un seul selfie depuis trois jours, ça me manque… »

23 décembre, 16h20

« Eh ben, voilà! J’ai fini par céder, on est sortis, et nous sommes repérés ! On va se retrouver sur Facebook et je n’ai même pas fait ma permanente. On est bon pour finir les vacances à Brégançon, je vais encore me geler. — C’est ta faute, Bibi. Si tu ne mettais pas tout le temps ton fameux blouson bleu ciel, on passerait inaperçus. On te reconnaît à deux kilomètres… — Tu te fous de moi, Biquet ? En plus, SaintTrop! Tu pouvais pas trouver plus discret? — J’avais repéré cet été un petit blouson d’aviateur doré, avec des jolis clous sur les manches… Pas de chance, le magasin est fermé… Un selfie, mademoisel­le ? Mais avec plaisir! Alors, comment vous les trouvez, ces gilets jaunes ? Vilains, non ? »

26 décembre, 11h15

Dès qu’il a appris qu’Alexandre Benalla avait conservé et utilisé ses passeports diplomatiq­ues, le président a demandé la liste des destinatio­ns où son ancien garde du corps a mis les pieds depuis son départ de l’Elysée. Jean-Yves Le Drian vient lui apporter la réponse. « Sur le premier, les visas nous ont permis d’identifier des séjours à Formentera, Copacabana, Mykonos, Macao, Saint-Barth, Moustique et Eilat. Quant au second, il établit que son détenteur s’est rendu à Damas, Téhéran, Pyongyang, Moscou, Tripoli, Pékin, Khartoum, N’Djamena, et le Vatican pour finir. — Le Vatican ? Qu’estce qu’il a bien pu faire au Vatican ? Se confesser ? — Non, il est allé, à la demande du pape, entraîner la Garde suisse au combat de rue. Et relire la bénédictio­n urbi et orbi de Noël… »

28 décembre, 10h08

« Alex, qu’est-ce que c’est que cette histoire de SMS ? — Près’, tu m’as bien envoyé des SMS ? — Jamais! — Et c’est pour me dire ça que tu m’envoies un SMS ? — Quel SMS ? Je ne t’ai jamais envoyé de SMS, pas même

« Quel SMS ? Je ne t’ai jamais envoyé de SMS, pas même pour te dire que je ne t’ai jamais envoyé de SMS »

pour te dire que je ne t’ai jamais envoyé de SMS. — Mais là, Près’, c’est bien des SMS que tu m’envoies depuis cinq minutes pour me dire que tu ne m’as jamais envoyé de SMS? — Pas du tout! Toi, tu reçois peut-être des SMS, mais moi je n’en envoie aucun. Et d’abord, tu n’as pas mon numéro, donc quand tu reçois un SMS que je n’ai pas envoyé, tu ne réponds pas en m’appelant “Près’”, tu dis : “Qui m’envoie ce SMS ?” Et comme je n’en ai pas envoyé, je ne te réponds pas et on en reste là. Compris ?— T’ es trop intelligen­t pour moi, là… — Eh oui ! Comment crois-tu que je suis devenu président? — En n’envoyant pas de SMS à des tas de gens qui les ont reçus? — Exactement ! »

31 décembre, 16h08

Emmanuel Macron parachève ses voeux télévisés. Il relit les suggestion­s que lui ont transmises ses conseiller­s. Bruno Roger-Petit : « En 2018, je vous ai rapporté la Coupe du monde de football. En 2019, Brigitte vous offrira la Coupe du monde de football féminin… » Alexis Kohler : « Compte tenu de l’inflexion inflationn­iste des taux de change en zone yen, et malgré la baisse tendanciel­le des taux d’intérêt à long terme indexés sur les credit default swaps, je vous promets qu’on vous repiquera tout l’argent que les gilets jaunes nous ont obligés à filer aux smicards, bande de fainéants ! » Le conseiller sécurité intérieure : « Je souhaite aux gilets jaunes une bonne année sur les ronds-points. Méfiezvous quand même, on annonce une pluie de Flash-Balls, des nappes de gaz lacrymogèn­e et des giboulées de coups de matraques. » Sibeth Ndiaye : « Hey ma deban! 2018, c’était chem, tope là on est sur la même wave. Mais votre Près’ est deter comme jaja pour vous cracker un pumping 2019. On va kicker l’année avec un top bottom up drive qu’on va namer “Grand débat national”. Ça va jumper grave dans la deep Cefran, genre Afro trap. T’es in ? »

2 janvier, 1h11

Sylvain Fort écarte le rideau de son bureau. La lumière jaunâtre des réverbères se répand sur les graviers de la cour d’honneur de l’Elysée comme une crème anglaise sur un crumble. Dans la rue du Faubourg-SaintHonor­é, pas un passant ne file, pas un arbre ne bouge. Le sommet de l’Etat flotte, paisible, sur une grande flaque de silence. A mi-volume, sa chaîne hi-fi diffuse les dernières mesures du Chevalier à la rose, de Richard Strauss. Le radiateur gris devant la cheminée condamnée est tiède. « Au fond, cet hiver est doux », songe Sylvain Fort. Sur les étagères s’empilent des ouvrages à trier. Et, un peu partout dans la pièce, les discours écrits pour le président. En 593 jours, combien ? Il ne compte plus depuis longtemps. Sylvain Fort enfile son manteau, Le Chevalier à la rose s’est tu. La plume du président éteint la lumière : tout à l’heure, Fort enverra à l’AFP l’annonce de sa démission.

5 janvier, 16h29

Benjamin Griveaux, tout en dévalant l’escalier de son ministère, rédige un SMS. « Gilets jaunes à l’attaque. Porte défoncée. Pont-levis submergé. Donjon menacé. Demande rescousse. » Avec les cahots des marches, il se trompe de destinatai­re et l’envoie non au président, mais à Alexandre Benalla.

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 ??  ?? A retrouver du lundi au vendredi à 6 h 50 et à 7 h 50 sur Par Christophe Barbier
A retrouver du lundi au vendredi à 6 h 50 et à 7 h 50 sur Par Christophe Barbier

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