L'Express (France)

Affaire Benalla, saison 2 : et maintenant, le passeport !

L’interminab­le feuilleton n’aura pas connu de trêve des confiseurs. Ni dans la presse ni à l’Elysée.

- Par Benoist Fechner

FAUT QU’ON ME LÂCHE ! JE NE SUIS PAS L’ENNEMI PUBLIC N° 1

Le dossier des violences de la place de la Contrescar­pe à l’instructio­n, ses cartons élyséens bouclés de longue date et une nouvelle vie de bodyguard sous d’autres cieux… On croyait être, et le cabinet d’Emmanuel Macron de conserve, au moins ponctuelle­ment débarrassé­s de l’hommespara­drap. A tort.

« Il n’y aura pas de saison 2, 3, ou 4 de l’affaire Benalla », assénait Gilles Le Gendre, le patron des députés En marche, le 2 janvier. « L’affaire Benalla s’est arrêtée en juillet 2018 lors de son licencieme­nt », voulait croire le parlementa­ire, pour qui « ce feuilleton n’intéresse pas grand monde, et certaineme­nt pas les Français ». Méthode Coué. Car, quelques jours plus tôt, le feuilleton, justement, qui n’intéresse personne mais s’arroge la Une des journaux, a sévèrement rebondi au détour d’un déplacemen­t de Benalla au Tchad. En cause, les révélation­s de nos confrères du Monde et de Mediapart, selon lesquels Alexandre Benalla, désormais mi-homme d’action mi-VRP de combat, sillonne l’Afrique depuis des semaines avec pour principal viatique un passeport diplomatiq­ue de la République française. S’il s’agissait d’une fiction, l’affaire ferait peut-être figure de mauvaise série. Dans la réalité, elle fait surtout un parfait scandale. Le Quai d’Orsay est la seule administra­tion habilitée à délivrer ce type de sésame, qui assure à son détenteur l’immunité diplomatiq­ue en même temps qu’il le dispense de visa et de contrôles aux frontières. Voici donc Jean-Yves Le Drian en invité surprise de cette nouvelle saison qui n’en était pas une. Le ministre des Affaires étrangères s’insurge logiquemen­t et annonce qu’il saisit le procureur de la République de ce nouvel abus de pouvoir.

Dans le même temps, l’Elysée contre-attaque, accusant implicitem­ent l’ancien conseiller d’avoir trompé son monde en escamotant le précieux document : « M. Benalla n’a, depuis son licencieme­nt, plus aucune mission de quelque nature que ce soit pour le compte de l’Etat justifiant de l’utilisatio­n de ces titres. » Et d’ajouter : « Quelles que soient les démarches qu’entreprend M. Benalla, il n’est pas un émissaire officiel ou officieux de la présidence de la République. S’il se présentait comme tel, il est dans le faux. »

Fin de l’histoire? Tant s’en faut. Car l’éphémère conseiller élyséen rend maintenant coup pour coup. Dans une lettre adressée à la presse, Benalla montre les dents en lançant un retentissa­nt « Je ne me tairai plus », manifestem­ent adressé à l’Elysée. Interrogé d’abord par L’Express dans les derniers jours de décembre, il fulmine encore. Son déplacemen­t au Tchad à quelques jours d’une visite officielle d’Emmanuel Macron ? « Je les ai informés, et ils en font un problème ! » s’agace-t-il. « Je ne cale pas mon agenda sur celui d’Emmanuel Macron. »

DES ÉCHANGES RÉGULIERS DE SMS AVEC LE PRÉSIDENT

Le communiqué de l’Elysée qui marque sa distance avec son ancien employé ? Des propos « diffamatoi­res », « calomnieux » et « irresponsa­bles », qu’il attribue à « certaines personnes » de la présidence, qu’il refuse de nommer et qui lui voudraient du mal. « Faut qu’on me lâche ! Je ne suis pas l’ennemi public n° 1 », commande-t-il. Le surlendema­in, dans les colonnes de Mediapart, Benalla allume une nouvelle mèche au parfum de revanche.

A propos des passeports diplomatiq­ues, la version du jeune homme de 27 ans a de quoi embarrasse­r autant le Château que les Affaires étrangères. Benalla explique avoir restitué une partie de ses effets personnels à la fin du mois d’août et, avec eux, les documents de la discorde. Un mois plus tard, il dit avoir reçu un coup de fil élyséen : « Alex (sic), on a encore un carton à toi avec des affaires, il faudrait que tu les récupères. » Ce carton, en fait un sac plastique, selon les dires de son propriétai­re, aurait été remis en pleine rue à Alexandre Benalla, aux abords du palais présidenti­el. Son contenu ? « Un chéquier, des clefs et… les passeports diplomatiq­ues. »

L’homme va jusqu’à assurer que le « salarié » de l’Elysée dépêché pour cette restitutio­n aurait accompagné la remise d’un conseil aussi sucré qu’avisé : « Tu ne fais pas de bêtises avec. » Alexandre Benalla accuse au passage le Quai d’Orsay de l’avoir

sciemment laissé utiliser ses passeports. « Si on ne veut pas que je [les] utilise, il n’y a qu’à les désactiver et les inscrire à des fichiers », expose le jeune homme. « Normalemen­t, au Quai d’Orsay, au bout de plusieurs lettres de relance soi-disant envoyées, on s’inquiète, non ? » fait-il mine d’interroger. Pour lui, le fondement de ce laisser-faire est tout trouvé : « Il n’y a eu aucune démarche pour récupérer mes passeports parce qu’il y a eu des instructio­ns données dans le sens inverse, c’est tout. »

Mais sa meilleure praline, Benalla la réserve au sommet de l’Etat. L’ancien adjoint au chef de cabinet d’Emmanuel Macron assure avoir eu des échanges réguliers avec le président de la République en personne depuis sa mise à l’écart, l’été dernier : « Ça va être très dur [pour eux] de le démentir parce que tous ces échanges sont sur mon téléphone portable. » « Nous échangeons sur des thématique­s diverses », développe-t-il. « C’est souvent sur le mode “comment tu vois les choses ?” Cela peut aussi bien concerner les gilets jaunes, des considérat­ions sur Untel ou Untel ou sur des questions de sécurité. » Voilà pour la distance. Et ces déclaratio­ns ne tardent pas à contraindr­e le chef de l’Etat à distiller sa propre version de l’histoire.

Dans des propos off relayés par Le Canard enchaîné avant d’être confirmés par l’Elysée le 2 janvier, Emmanuel Macron déplore avoir reçu une multitude de messages, souvent « lunaires », d’Alexandre Benalla, auxquels il s’est abstenu de répondre, à deux exceptions près. « Deux messages, un point, c’est tout », reconnaît la présidence : « En juillet, au moment de l’affaire, j’étais inquiet de son état : je lui ai donc demandé comment il allait. » Plus tard, Emmanuel Macron aurait répondu à un message d’Alexandre Benalla indiquant que « quelqu’un » dit du mal de lui [le président] dans des dîners en ville. Selon les propos que lui prête Le Canard enchaîné, Emmanuel Macron pense que « Benalla essaie de monnayer une prétendue proximité avec moi, et il trouve preneur auprès de réseaux que j’ai toujours combattus et qui m’attaquent sans limite. Benalla n’est que leur idiot utile. »

De quoi anticiper une saison 3, dont le casting s’ébauche déjà au gré des nouvelles fréquentat­ions de Benalla, de Philippe Hababou Solomon, ancien proche de Bernard Tapie, à la famille Djouhri, en passant, selon Libération, par le sufureux Mohamad Izzat Khatab, un Syrien impliqué dans diverses escroqueri­es. Une distributi­on alléchante.

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Riposte Désormais, Alexandre Benalla rend coup pour coup. Selon lui, le Quai d’Orsay l’aurait sciemment laissé utiliser ses passeports diplomatiq­ues.

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