L'Express (France)

Macron, une séduction en question

Le président veut profiter des élections européenne­s pour redonner une dynamique à son quinquenna­t. En est-il encore capable?

- Par Eric Mandonnet

C’était le 1er mai 2017. Entre les deux tours de l’élection présidenti­elle, Emmanuel Macron s’entretient en secret avec Alain Juppé, dans les bureaux parisiens de la métropole de Lyon. « Je vous rappelle dès demain », conclut le premier. Qui passe à autre chose – il entrera à l’Elysée quelques jours plus tard et ne prendra pas le temps de rappeler le maire de Bordeaux. Si le chef de l’Etat n’aime rien tant que séduire, savoir entretenir la confiance sur le long terme est une autre paire de manches.

vingt mois ont passé, et Emmanuel Macron, en conflit avec la rue, en désamour avec l’opinion, entame 2019 avec cette interrogat­ion majeure : alors que des ministres essentiels se sont éloignés, que des conseiller­s au coeur de son aventure s’en sont allés, est-il encore une force d’attraction ? A-t-il encore la puissance pour recomposer l’échiquier politique ? Au cours de ses voeux du 31 décembre, il choisit d’évoquer le scrutin des européenne­s – ce que Nicolas Sarkozy s’était gardé de faire en pareilles circonstan­ces –, hissant ainsi cette échéance en rendez-vous crucial. Il est vrai que la participat­ion à l’élection des eurodéputé­s français équivaut désormais à celle des députés : 42,4 % pour la première en 2014, 42,6 % pour la seconde en 2017. Mais le pari est risqué pour le président, qui confiait en septembre 2018 au JDD : « Ce scrutin n’aura aucun impact sur la politique que le gouverneme­nt doit mener. Il faut être sérieux : nous sommes un pays où les campagnes présidenti­elles durent longtemps. Le mandat du chef de l’Etat, c’est cinq ans. » La donne a changé, le besoin de rallumer la flamme se fait pressant.

LE CAS JUPPÉ

C’était le 20 novembre 2018. Autour de la table élyséenne, un casting inédit sous la ve République : le chef du gouverneme­nt, Edouard Philippe, les ministres des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian (ex-PS), et de la Culture, Franck Riester (ex-UMP, aujourd’hui membre d’Agir), mais aussi deux anciens Premiers ministres de droite, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, les nos 1 et 2 du MoDem, François Bayrou et Marielle de Sarnez, le commissair­e européen Pierre Moscovici (socialiste), les radicaux Jacques

Mézard et Laurent Hénart, et celui qui est alors le patron par intérim de la République en marche, Philippe Grangeon. « Il faut vraiment que cette rencontre demeure secrète », insiste François Bayrou. Premier objectif raté : elle sera révélée dès le lendemain par L’Opinion.

Pour la séduction des esprits (et des ego), Emmanuel Macron est toujours d’attaque. « Quand il sera question de Ségolène Royal, on demandera au spécialist­e », remarque-t-il en adressant un clin d’oeil appuyé à Jean-Pierre Raffarin, qui l’a précédée à la tête de la région Poitou-Charentes. Mais pour le management des hommes, le président n’est pas le plus habile. Alain Juppé avait été informé par son ami Edouard Philippe que le repas aurait lieu en « petit comité », et le voilà qui se retrouve dans un aréopage élargi. « vous imaginez, Alain pensait être avec deux ou trois invités triés sur le volet pour échanger avec le chef de l’Etat et il se retrouve face à Marielle de Sarnez », lâche l’un de ses intimes. « Son body langage semblait dire “j’aurais dû être à la place de Macron, mais je veux quand même l’aider sinon ce sera la catastroph­e” », décrypte l’un des présents. Décidément, le maire de Bordeaux est de bonne compositio­n, tant est grande sa hantise de voir l’Europe se déconstrui­re. Au moment d’entamer 2019, il publie une photo du fronton de sa mairie avec un drapeau français entouré de sept drapeaux européens et salue dans un tweet « l’excellente interventi­on du président de la République. Dans la forme comme sur le fond. Le cap est donné ».

Pendant les agapes, si les radicaux se montrent partants – « Ou nous sommes dedans, ou nous sommes ridicules » –, Jean-Pierre Raffarin avance un peu plus prudemment. Bien sûr, il acquiesce à l’idée de laisser l’Europe en dehors du champ politique, il voudrait toutefois garder jusqu’en février la liberté de choisir le camp qu’il soutiendra. Il sait que Jean-Christophe Lagarde, à la tête d’une liste UDI, offre une échappatoi­re à cet électorat modéré du centre et de la droite qu’Emmanuel Macron décevrait trop. Sa pirouette lors de ses voeux (il souhaite « une bonne SainteBére­ngère » au chef de l’Etat, laquelle tombe le jour des européenne­s) laisse-t-elle entrevoir son inclinatio­n ? Le calendrier est évidemment un élément stratégiqu­e essentiel. « C’est une élection où tout se décide dans les quinze derniers jours », lance François Bayrou entre la poire et le fromage. « Pour les mauvais conseils, on peut compter sur lui », maugrée l’un de ses voisins de table. Le dîner a peut-être des allures de Cène, chacun ne tient pas pour autant l’autre en odeur de sainteté…

Emmanuel Macron écoute plus qu’il ne se dévoile. Parmi ses conseiller­s, ils sont plusieurs à plaider fortement pour une équipe qui dépasse les clivages, avec un argument de team building. « S’ils [des responsabl­es de droite] ne font pas campagne avec nous, on ne sera jamais vraiment copains. » Ce soir-là, le président assure que le score de 25 % peut être atteint – ce ne serait pas la multiplica­tion des petits pains, mais presque… Trois jours plus tôt s’est déroulé le premier appel au blocage des « gilets jaunes », qui a rassemblé des centaines de milliers de manifestan­ts un peu partout en France. Or pas plus le président que ses convives n’y font allusion au cours des échanges. Longtemps Emmanuel Macron a eu un temps d’avance. Dans la crise, il aura toujours un temps de retard, comme si la déconnexio­n avec ce pays qu’il a su naguère conquérir allait crescendo. Pourtant, au début de la révolte, l’un de ses ministres, affublé d’une casquette, a osé se rendre incognito à la rencontre des manifestan­ts, dans le val de Loire. Cela n’a pas empêché le pouvoir de se montrer impuissant à contenir et à comprendre un mouvement qu’il rêverait aujourd’hui de voir débouler sur la scène électorale pour affaiblir les adversaire­s de l’Elysée.

« RACONTER UNE HISTOIRE »

Ce sera donc le 26 mai. Le casse-tête de la liste reste entier. Puisque Macron sera le leader politique, renouons avec la société civile et donc avec l’esprit de 2017, préconisen­t certains Marcheurs. Le nom de Daniel Cohn-Bendit ne suscite pas l’unanimité, car le vert continue d’être un chiffon rouge pour les électeurs de centre droit, que le soutien d’Alain Juppé est censé rassurer. Pour que l’affichage soit vraiment multicolor­e, des proches du président rêvent d’associer Maël de Calan (LR), Karima Delli (députée européenne écologiste) et Laurence Tubiana, la directrice de la Fondation européenne pour le climat. « Il faut réussir à raconter une histoire et surtout pas se livrer à des dosages politicien­s », exhorte un proche du chef de l’Etat.

S’il s’agit de donner du lustre à une équipe qui devra ensuite trouver sa place au Parlement européen, c’est aussi parce que l’étoile d’Emmanuel Macron a également pâli à l’extérieur de nos frontières. Les Allemands, qu’il avait emballés dans un premier temps, s’interrogen­t. « Il va de discours en discours », remarquait laconiquem­ent le ministre de l’Economie, Peter Altmaier, devant l’un de ses visiteurs à l’automne, et l’on devine que ce n’est pas un compliment outre-Rhin, où le charme des mots n’égale pas la beauté des actes. « A ce stade du quinquenna­t, est-ce qu’Emmanuel Macron réussit à ressuscite­r une dynamique ? Il existe des personnali­tés qui veulent l’aider, encore faut-il qu’il nous aide à l’aider », note l’un des convives du 20 novembre. Séduire ne suffit plus, l’enjeu désormais est de convaincre.

SI DES GENS DE DROITE NE FONT PAS CAMPAGNE AVEC NOUS, ON NE SERA JAMAIS COPAINS

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