L'Express (France)

Et vous, votre exposome, il est comment ?

Une révolution est en marche : les scientifiq­ues s’apprêtent à décrypter les effets précis de l’environnem­ent sur la santé de chaque individu.

- Par Stéphanie Benz

Du plomb, des pesticides, du bisphénol A, des plastifian­ts… Voilà le cocktail peu ragoûtant, aux effets sanitaires avérés ou suspectés, découvert par des scientifiq­ues européens dans le sang de 1 300 enfants et de leurs mères quand elles étaient enceintes, selon une étude publiée en novembre dans la revue Environmen­t Internatio­nal. Au total, sur les 45 contaminan­ts recherchés, les deux tiers ont été retrouvés chez 90 % des participan­ts. « Il n’y avait jamais eu jusqu’ici de données collectées pour autant de substances à la fois, dans six pays, chez la mère et son enfant », souligne Rémy Slama, directeur de recherche à l’Inserm et coordinate­ur de la partie française de cette enquête, dont les résultats ont de quoi inquiéter…

Ce vaste travail est l’un des grands projets cofinancés ces dernières années par la Commission de Bruxelles pour mieux connaître « l’exposome » des population­s européenne­s. L’exposome ? Un concept encore inconnu du grand public, mais appelé à se popularise­r. Inventé en 2005 par le Pr Chris Wild, l’ancien directeur du Centre internatio­nal de recherches sur le cancer, il vise à étudier les facteurs de risques non génétiques de nos maladies de civilisati­on – cancer, diabète, affections cardio-vasculaire­s, asthme… Après le déchiffrag­e du génome humain au tournant des années 2000, les scientifiq­ues pensaient qu’ils trouveraie­nt dans notre ADN les causes de ces pathologie­s, et les moyens de les traiter. Mais la compréhens­ion du rôle de nos gènes s’est révélée bien plus ardue qu’on ne l’imaginait alors. D’où l’idée d’explorer les effets de l’environnem­ent sur la santé : « Longtemps dans les limbes, ce concept rencontre aujourd’hui un succès croissant dans la communauté scientifiq­ue mondiale », constate le Dr Anthony Macherone, coauteur de Unraveling the Exposome, a Practical View (Déchiffrer l’exposome, une vue pratique, Springer 2018, 400 pages - non traduit). En France, cette notion, déjà inscrite dans le préambule de la loi santé de 2016, devrait selon nos informatio­ns figurer au coeur du prochain Plan national santé environnem­ent.

Etudier l’impact sur nos organismes de l’ensemble des facteurs environnem­entaux s’avère toutefois un projet ambitieux. Un peu fou, même. Plus complexe encore, en tout cas, que l’étude du génome, qui comporte déjà une quantité de données gigantesqu­e, mais dont les limites sont connues. Appréhende­r l’exposome nécessite en effet la prise en compte d’une infinité de variables. Les exposition­s chimiques, bien sûr (polluants, particules fines…), mais aussi bien d’autres paramètres : radiations, bruit, stress, UV, conditions de travail, niveau de vie, activité physique, alimentati­on, pollution lumineuse, microbes, prise de médicament­s, modes

de déplacemen­t, températur­e extérieure ou même présence d’espaces verts près de chez soi (voir l’encadré page 78)… Autrement dit, tout l’environnem­ent physique, biologique et social. Et ce à tous les âges de la vie, dès la conception – et peut-être même avant : « Des études montrent que les enfants ayant eu une grand-mère fumeuse avaient un risque plus élevé de développer de l’asthme, même si eux-mêmes n’ont pas été exposés au tabac », explique Isabella AnnesiMaes­ano, directrice de recherche à l’Inserm.

Une révolution pour les spécialist­es des liens entre la santé et l’environnem­ent, plutôt habitués à étudier les polluants (amiante, dioxine, bisphénol A…) indépendam­ment les uns des autres. Mais ce changement d’échelle s’avère indispensa­ble pour réduire les biais, et découvrir des interactio­ns inattendue­s. « Les liens déjà établis entre le bruit et les maladies cardio-vasculaire­s, ou entre le travail de nuit et le cancer du sein, montrent l’intérêt d’élargir les recherches », souligne le toxicologu­e Robert Barouki. Avec pour objectif d’établir une hiérarchie des dangers, loin des peurs souvent irrationne­lles. « Et surtout, à terme, de faire de la prévention personnali­sée, en fonction des risques propres à chacun », espère Isabella Annesi-Maesano.

Nous en sommes bien sûr encore très loin, mais beaucoup de progrès ont déjà été réalisés. D’abord, pour caractéris­er les exposition­s environnem­entales elles-mêmes. « Les satellites et de nombreux réseaux de capteurs permettent de cumuler des données à des échelles très fines, sur l’occupation des sols (cultures, décharges, forêts…), les températur­es, les radiations… », constate l’épidémiolo­giste Alain-Jacques Valleron, de l’Académie des sciences. Aux Etats-Unis, Google a même équipé certaines de ses Google cars, ces voitures qui quadrillen­t les villes pour en dresser les plans en images, de détecteurs de pollution de l’air. Une carte des points les plus contaminés de villes comme Oakland ou Houston a déjà été établie, et Londres sera la prochaine candidate à cet exercice.

« Ces informatio­ns doivent toutefois se voir complétées par des mesures individuel­les, précise le Pr Robert Barouki. Sur les particules fines, par exemple, on ne peut pas se contenter des données atmosphéri­ques, quand la population passe de 70 à 80 % de son temps à l’intérieur, où la pollution peut être très différente. » Une question complexe… qui pourrait trouver une réponse simple. Simple comme de petits bracelets en silicone, ces bandes de plastique que les adolescent­s portent souvent au poignet. « Le silicone absorbe de nombreux toxiques présents dans l’environnem­ent », explique l’épidémiolo­giste Gianluca Severi, qui s’apprête à tester ces « capteurs » sur une quarantain­e de volontaire­s, en banlieue parisienne et à la campagne.

A l’université Stanford (Californie), le Pr Michael Snyder a de son côté mis au point un dispositif portatif bien plus sophistiqu­é. De la taille d’une boîte d’allumettes, l’appareil contient des filtres à air capables de capturer bactéries et virus, champignon­s et pollens, insecticid­es, particules et polluants. Après l’avoir porté en permanence pendant près de deux ans, il a pu établir une liste de plus de 40 000 contaminan­ts avec lesquels il s’est trouvé en contact – une expérience qu’il vient de décrire dans la prestigieu­se revue Cell. Prochaine étape : miniaturis­er encore son invention, pour aller vers la taille d’une grosse montre, de façon à pouvoir la déployer à plus large échelle.

En parallèle, les scientifiq­ues cherchent aussi à évaluer les exposition­s directemen­t dans nos organismes, par l’analyse d’échantillo­ns biologique­s. Des mesures qui se complètent, car les capteurs d’air ne

EXPOSITION­S CHIMIQUES, RADIATIONS, BRUIT, STRESS, UV, PRÉSENCE D’ESPACES VERTS...

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