L'Express (France)

Le guide des arts et spectacles

-

C’est l’histoire d’une douanière à l’odorat pointu, capable de sentir la honte, la culpabilit­é, la peur; elle détecte ainsi des délinquant­s, comme ce pédophile planqué derrière un bon père de famille. Ou alors c’est l’histoire d’une femme attirée par un voyageur au comporteme­nt étrange qui transporte dans ses bagages des vers dont il fait ses repas. Ou bien c’est l’histoire de Tina, qui copine avec des élans, marche pieds nus dans la forêt et sent en elle des choses qu’elle ne comprend pas. Tout ça et bien d’autres choses. Border est finalement le film le plus surprenant de ce début d’année, le plus étrange, sûrement, le plus dérangeant, aussi; passionnan­t, également, parce qu’il n’avance jamais là où on l’attend, brisant menu l’idée selon laquelle avec un peu de culture cinéma on sait à peu près ce qui va se passer et dans quel univers on baigne. Eh bien non. Mais qu’est-ce que c’est que ce film ?

Premier indice : Border est adapté d’une nouvelle de John Ajvide Lindqvist, auteur de Laisse-moi entrer, dont Tomas Alfredson fit une balade amoureuse adolescent­e avec neige et vampire, Morse. L’ambiance y était suspendue comme des flocons qui jamais ne tombent à terre. Deuxième indice : Ali Abbasi, réalisateu­r de ce Border, est né en Iran, auteur de nouvelles en farsi, bientôt installé à Stockholm, en Suède, où il suit des études d’architectu­re. Sans faire une théorie des bienfaits des mélanges (quoique), on imagine facilement que ces différents chemins se rejoignent ailleurs sans forcément savoir où ils mènent. Dernier indice : le film dure une heure quarante-huit, ce qui ne veut rien dire à moins de comprendre qu’on en a pour son argent.

A ce stade, il est possible de balayer Border d’un revers de main, considéran­t qu’il est une énième version d’un appel à la différence, à la tolérance, au vivre-ensemble, merci, au revoir. C’est vrai. Il l’est. Mais pas que. Car ce film, qui ne cesse de jouer à saute-mouflons sans prévenir personne, raconte surtout ce besoin de laisser gambader l’imaginaire et de savoir marier le rêve et le cauchemar, chacun étant utile à l’autre, comme le mal au bien et le merveilleu­x au pragmatism­e. Il ne s’agit pas tant de vivre ensemble, d’ailleurs, que de considérer que le mouvement du monde est chose trop sérieuse pour en laisser les clefs à des serruriers d’église. Border défend ainsi une sorte d’onirisme laïc. Oui, c’est nouveau. BORDER D’ALI ABBASI. 1 H 48. 17/20

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France