C’était dans L’Express… Le référendum a de l’avenir (1992)
Le vote sur le traité de Maastricht, le 20 septembre 1992, donna lieu à un débat sur la démocratie directe.
Pendant longtemps, le référendum a eu en France une place extrêmement marginale. A cela deux raisons : une nette préférence, depuis 1791, pour une démocratie d’inspiration représentative donnant compétence au Parlement pour représenter la nation ; à quoi s’ajouta une méfiance tenace face à l’usage abusif du référendum-plébiscite par Napoléon Ier, puis par Napoléon III.
Il fallut attendre la libération de la France, en 1945, pour qu’à l’initiative du général de Gaulle, désireux à la fois de redonner la parole au peuple et de marquer le lien personnel qui le liait à lui, le référendum réapparaisse – à trois reprises, en 1945 et en 1946 – pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, qui devait être celle de la IVe République. Revenu au pouvoir en 1958, de Gaulle devait aussitôt faire inscrire dans la nouvelle Constitution (article 3) le principe selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Ce faisant, il mettait en oeuvre les principes définis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formulation. » C’est par référendum que fut approuvée cette Constitution, en 1958. C’est par référendum qu’elle fut modifiée, en 1962, avec l’institution de l’élection du président de la République au suffrage universel. Deux référendums avaient été au préalable consacrés, en 1961 et en 1962, à l’approbation de la politique algérienne du général de Gaulle. C’est enfin le non au référendum de 1969, sur la politique régionale et la réforme du Sénat, qui conduisit au départ du général de Gaulle. […]
Quelles qu’en soient les motivations, l’initiative de François Mitterrand à l’occasion du traité de Maastricht relance le débat sur la légitimité du référendum. A la différence de ce qui se passe en Suisse ou en Italie, le référendum a du mal à se défaire, en France, d’une ambiguïté fondamentale, celle qui résulte de la confusion entre une question précise posée au peuple et une question de confiance envers celui qui pose la question. Il est vrai que, chaque fois qu’il s’adressa au peuple, de Gaulle fit de sa présence à l’Elysée l’enjeu central de la consultation, qui allait souvent jusqu’à occulter la question « officielle ». C’est que, pour lui, le référendum était avant tout l’occasion de vérifier périodiquement, au cours d’un long mandat de sept ans, que le peuple lui conservait sa confiance, où se ressourçait sa légitimité. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, cette approche n’ayant été retenue ni par Georges Pompidou en 1972, ni par Valéry Giscard d’Estaing – qui n’eut jamais recours au référendum –, ni aujourd’hui par François Mitterrand. Mais rien n’y fait : le sort du président est devenu, malgré tout, un enjeu de la campagne.
Et pourtant, le débat actuel sur l’Europe montre combien il est sain que, au-delà du rôle nécessaire de l’institution parlementaire, un peuple dûment informé et éclairé puisse être directement interrogé, de temps en temps, sur les questions fondamentales qui engagent son avenir. Surtout si les clivages qui en résultent traversent les divisions habituelles des forces politiques. On ne saurait, sous prétexte que le sujet est complexe ou que l’électeur est guetté par les mirages de la démagogie, dénier au peuple un droit d’expression qui serait réservé aux « experts ». Aux spécialistes d’éclairer l’opinion pour l’aider à se déterminer. Autant que l’avenir de l’Europe, le devenir d’une certaine forme de démocratie directe ne sera pas le moindre enjeu du référendum du 20 septembre.