L'Express (France)

Amos Oz : l’adieu au magicien

Le grand écrivain israélien s’est éteint, à l’âge de 79 ans, des suites d’un cancer. Hommage de L’Express.

- par Alexis Lacroix A. Lx

Le 28 décembre 2018 a été assombri par la disparitio­n du géant et magique Amos Oz, à l’orée de sa 80e année. Un monstre sacré. Une conscience, aussi, de la nation juive, de sa destinée historique, à des moments si délicats de son devenir. A L’Express, dont Oz a accompagné l’odyssée, car le journal rejoignait nombre de ses combats humanistes, nous mesurons pleinement ce que signifie cette perte. Oz, d’une éreintante exigence envers lui-même, d’une astreignan­te rigueur politique et morale, était un homme très accessible, sans artifice ni manière. Et il émanait de lui cette gentilless­e non feinte, qui est à la fois la marque des vrais grands et un trait habituel de la socialité israélienn­e, moins corsetée que l’européenne, sans doute un héritage de cet esprit pionnier qui se survit à l’époque de la « start-up nation » et du miracle informatiq­ue.

Les hébraïsant­s savent que ses nouvelles et ses romans – parmi lesquels de purs chefs-d’oeuvre, comme Une Histoire d’amour et de ténèbres ou Mon Michaël – ont su porter la langue réinventée par Eliezer Ben Yehouda à un maximum d’efficience laconique et descriptiv­e. Et ils aimaient, aussi, l’exactitude dépouillée du verbe ozien, verbe antilyriqu­e par excellence, sans facilité, sans ronflement de mécaniques lexicales, sans emportemen­t dans la généralité.

Oz était tant par l’héritage des Klausner, sa famille venue de Lituanie et d’Ukraine, que par dilection personnell­e, un intellectu­el. Batailleur. Engagé. Courageux. « Clivant ». Oz ne signifie-t-il pas, d’ailleurs, en hébreu, « force » ? Car il a tenu quelques lignes vertes intangible­s, dont il n’a jamais dévié, au grand dam des opportunis­tes et de leurs contorsion­s. Pour celui qui a signé, en 2004, une ode à la désunion des Israéliens et des Palestinie­ns, sous ce titre ironique : Aidez-nous à divorcer ! Israël, Palestine : deux Etats maintenant, la réconcilia­tion de ces voisins ne signifiait aucunement l’idylle, inaccessib­le, mais une séparation politique, une paix en quelque sorte « sèche », sur une base par lui infatigabl­ement défendue : celle d’un compromis créant, à côté d’Israël reconnu dans des frontières sûres, un Etat palestinie­n indépendan­t. Cet idéal politique, qui a été, pendant plusieurs décennies, celui de la gauche travaillis­te israélienn­e, quand la droite rêvait déjà d’annexion de fait, Oz ne l’a jamais répudié, même s’il connaissai­t, surtout à la fin de sa vie, l’offensive séductrice de la thèse adverse, celle de l’Etat binational, aujourd’hui prôné par des personnali­tés aussi différente­s que Naftali Bennett ou A. B. Yehoshua. A-t-il eu tort? Sûrement pas, si l’on pense que la responsabi­lité de l’écrivain réside justement dans la défense de quelques positions non négociable­s. En janvier 2018, il est signataire, avec 34 autres confrères tels Zeruya Shalev, David Grossman ou Orly Castel-Bloom, d’une lettre adressée au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou lui demandant le non-renvoi des personnes réfugiées originaire­s de l’Erythrée et du Soudan. Parallèlem­ent, il publie un ouvrage de combat idéologiqu­e contre le fanatisme religieux, Dear Zealots. Letters from a Divided Land. Pas seulement l’occasion de dire son fait à la tentation d’une mainmise religieuse qui existe autant en Israël qu’en Europe occidental­e, ce dernier livre a aussi été une façon de redire son amour inentamé pour la beauté utopique du sionisme et son incroyable énergie transforma­trice, à la seule condition qu’il sache résister à l’ivresse, jamais bonne conseillèr­e, de la puissance. Ne trouve-t-on pas, dans les Pirké Avot, cette phrase qu’il connaissai­t bien : « Méfie-toi du pouvoir » ?

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« Force » Oz n’a jamais dévié d’un idéal de paix, jusque dans son dernier livre contre le fanatisme.

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