La mode : en piste !
Neige plus rare et tourisme en baisse, l’industrie du vêtement de ski change de cap et se diversifie à la ville, où son esthétique n’a jamais été autant plébiscitée. Explications.
Le monde du skiwear serait-il en train de perdre le nord? A l’heure où les flocons de neige peinent à tomber, entraînant une baisse de la fréquentation des stations françaises (- 13 % en dix ans), ce secteur, estimé à 250 millions d’euros en 2015 (selon l’institut NPD), fait aujourd’hui grise mine. Pour pallier cette tendance, les équipementiers ont donc trouvé une solution : s’éloigner peu à peu du vêtement technique pour développer en parallèle des vestiaires sportifs et tendance, adaptés à un mode de vie urbain de plus en plus actif. A l’image de Moncler, l’inventeur du manteau matelassé, qui fut l’un des premiers à se positionner sur le sportswear chic avec ses doudounes sophistiquées adoptées par les célébrités et la jeunesse dorée. Cet hiver, son best-seller a été réinterprété par huit créateurs, dont Pierpaolo Piccioli, le directeur artistique de Valentino, l’Anglais Craig Green ou l’artiste japonais Hiroshi Fujiwara. Sur ses traces, Fusalp, créé en 1952 par deux tailleurs d’Annecy – la silhouette élancée en fuseau, c’est lui – s’est fixé un objectif similaire : apporter son savoir-faire technique à des vêtements urbains… et infuser les produits de ski avec une touche de streetwear. « C’est dans l’air du temps, les gens aiment détourner l’usage de leurs vêtements », justifie Sophie Lacoste-Dournel, qui a repris la
marque familiale en 2014 avec son frère Philippe. Leur dernier fait d’arme ? Des pulls et des gilets de ski tricotés en laine mérinos au style vintage, fruits d’une collaboration avec The Woolmark Company. Même chez Rossignol, la mode est passée par là. De Jean-Charles de Castelbajac à Damir Doma en passant par Andrea Pompilio ou Tommy Hilfiger, les propositions ville (combinaison façon surplus ou veste en fausse fourrure à motif léopard) cohabitent avec les lignes techniques qui retranscrivent l’esprit de chaque créateur. Pourquoi une telle polyvalence est-elle possible? Parce que l’esthétique et la fonctionnalité du vestiaire de la glisse ont déjà fait leurs preuves en ville. Démonstration avec la doudoune, qui, depuis les années 1990, a été adoptée alors par le hip-hop et le streetwear. De la veste matelassée ultra-mince à glisser sous un costume (Uniqlo) au modèle oversized et unisexe remis en selle en 2016 par Balenciaga, ce blouson remporte tous les suffrages auprès des quadras comme des millennials. En 2018, le plus réconfortant des basiques se réinvente dans une version plus chic : version XXL pour le blouson réversible de Swildens pour Pyrenex, courte et rose chez Off-White pour MyTheresa, blanchi ou orné de harnais et conçu dans des matières recyclées pour Shoreditch Ski Club, la nouvelle marque britannique d’outwear écolo.
JEAN PATOU, DÈS 1933
Côté luxe, l’air de montagne fait aussi des émules. On ne compte plus les marques qui lancent leurs propres lignes consacrées aux sports d’hiver. Après les skis siglés, la maison Chanel présentait, en juin 2018, sa collection Coco Neige, qui mêle les codes de la griffe (le tweed, le matelassé, le noir et blanc) aux matières techniques résistantes (waterproof et anti-vent). Au total, 18 looks pour parader, entre autres, à Courchevel, où la maison a installé depuis neuf ans une boutique éphémère. Cette fascination des couturiers pour la glisse ne date pas d’hier. Jean Patou, pionnier du sportswear, offrait dès 1933 une vraie collection aux skieuses professionnelles.
Aujourd’hui, cette fascination pour l’élégance vintage est de retour. Sa décennie de prédilection ? Les athlétiques nineties, eldorado des inspirations sportives du moment. Ainsi, Polo Ralph Lauren ressort en édition limitée sa collection originale Winter Stadium conçue en 1992. Inspirée des tenues des athlètes américains, elle allie les amples volumes sport à une technicité de pointe, à l’image de sa parka en tissu hydrofuge bardée de patchs et de dossards de compétition de ski. De son côté, Giorgio Armani relance la collection Neve, créée en 1990. En rayon, une garde-robe au charme rétro pour le ski et l’aprèsski, dont des vêtements (manteau, doudoune) rembourrés avec du cachemire, en lieu et place du duvet. Une mesure chic qui fait écho à l’abandon, depuis 2016, de la fourrure par le couturier milanais. Neige ou pas, la montagne n’a pas fini d’incarner un certain luxe, celui de la nature et du dépassement de soi.