L'Express (France)

À TOUT PROBLÈME UNE SEULE ET UNIQUE SOLUTION : LA MIENNE

- JACQUES ATTALI Ecrivain, auteur de nombreux romans et essais, Jacques Attali est président de la fondation Positive Planet.

Dans tous les pays, dans tous les milieux, chacun discute de mille problèmes : le climat, le chômage, le terrorisme, les injustices, la santé, l’éducation, les retraites, la culture, l’identité nationale. Par ailleurs, dans tous les pays, dans tous les milieux, chacun a le sentiment qu’une réforme majeure est absolument fondamenta­le : renverser le gouverneme­nt, réformer les institutio­ns, autoriser les référendum­s d’initiative citoyenne, réduire les impôts, augmenter les dépenses publiques, réduire l’immigratio­n ou, à l’inverse, accueillir plus d’étrangers.

Dans ce monde complexe, il est tentant de choisir, pour tout problème, une solution simple. Et même, plutôt, de profiter d’un problème, quel qu’il soit, pour proposer sa propre obsession comme une solution. Aussi voit-on les uns et les autres partir de la réforme qu’ils ont en tête pour remonter jusqu’au problème qu’on leur pose, quel qu’il soit, comme si chacun d’entre nous aimait proposer son obsession comme solution de tout problème qui passe. Reprenant sans le savoir la phrase de Woody Allen : « Ma réponse est non, mais j’ai complèteme­nt oublié votre question. »

Ainsi voit-on les libéraux les plus fanatiques nous expliquer, contre toute logique, que c’est parce qu’on dépense trop d’argent public pour réduire les inégalités qu’elles restent si élevées ; et ils se font même fort de dire, de la même façon, et aussi absurdemen­t, que réduire les dépenses publiques (puisque telle est leur obsession) permettra d’améliorer la situation des retraités, ou de faire disparaîtr­e le chômage ; ou même de réduire le désordre climatique.

A l’inverse, contre toute raison également, on voit les socialiste­s les plus doctrinair­es expliquer que seule une hausse massive des impôts sur le capital (qui leur semble trop souvent l’alpha et l’oméga de l’action politique) permettra de réduire les injustices ou d’améliorer la situation des retraités ou d’inciter à des comporteme­nts écologique­ment raisonnabl­es.

On pourrait répéter le même raisonneme­nt avec toute autre obsession, proposée comme réponse à tous les enjeux. Pour ceux qui ne jurent que par le référendum d’initiative citoyenne ou par la réduction du nombre de migrants, j’ai ainsi entendu un polémiste fort écouté m’expliquer avec le plus grand aplomb que la crise mondiale de 2008 n’avait pas d’autre cause que l’accueil excessif de travailleu­rs étrangers en Europe !

On part donc de moins en moins des problèmes pour trouver une solution, mais de plus en plus de la solution pour éclairer n’importe quel problème. Comme si les problèmes n’étaient qu’un prétexte anecdotiqu­e pour faire avancer une cause.

Rien n’est plus important que l’esprit critique. Et son fondement suppose de déceler l’objectif réel, même et surtout s’il est bien dissimulé, d’un discours, d’une thèse, d’un livre, d’un programme ou d’une action politique. Quand on est confronté à un raisonneme­nt, il faut partir de la solution proposée pour se demander si elle n’est pas en réalité l’objectif réel du discours, indépendam­ment de tout lien avec le problème qui la rendrait nécessaire.

Il faut ensuite, modestemen­t, chercher les causes réelles des problèmes qu’on affronte, sans a priori. Et se demander, très honnêtemen­t, si on n’est pas soimême influencé par les solutions qu’on a à l’esprit. On arrivera alors très souvent à des réponses beaucoup moins manichéenn­es qu’on pourrait escompter; à des analyses beaucoup plus consensuel­les qu’on ne pourrait le craindre ; à des accords inattendus avec tous ceux qui suivent le même chemin logique et honnête, quel que soit leur point de départ idéologiqu­e ou politique. Sortir de la véhémence, échapper à la démonisati­on des autres et à la victimisat­ion de soi-même. Se comporter en adulte. Ce n’est pas forcément à la mode. En particulie­r dans beaucoup de médias, dont le taux d’audience dépend du schématism­e des arguments et du choc des ego.

Les problèmes semblent un prétexte pour faire avancer une cause

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