L'Express (France)

QUATRE-VINGTS ANS DE REBONDISSE­MENTS

Pendant des décennies, l’imposition à la source a miné le débat politique français.

- B. M.

Ce n’est pas un serpent de mer. Plutôt un anaconda de la vie politique française. L’impôt à la source, ce sont des décennies de propositio­ns de loi, de décrets, de reculades et de rebondisse­ments avec, en toile de fond, l’opposition quasi systématiq­ue du patronat et des syndicats.

Dès le milieu des années 1930, en pleine crise économique, les grands argentiers s’écharpent pour faire entrer l’argent dans les caisses alors vides de l’Etat. A l’époque, 15 % seulement des foyers fiscaux paient l’impôt sur le revenu, créé à peine vingt ans auparavant, en 1914. Les bruits de bottes, le déclenchem­ent de la Seconde Guerre mondiale et les besoins d’argent frais pour financer le conflit précipiten­t la décision. La retenue à la source sur les salaires est instaurée par décret, le 10 novembre 1939, sous le nom de « stoppage à la source ». Pas de tranche ni de progressiv­ité… encore moins de niches fiscales.

Il s’agit d’un impôt proportion­nel assis sur l’ensemble des rémunérati­ons. Un barème simplifié est appliqué pour tenir compte des frais profession­nels et du nombre d’enfants à charge. Les sommes sont prélevées par les employeurs et reversées au Trésor dans les quinze jours suivant la paie. Le stoppage à la source prévaut jusqu’au lendemain de la guerre. Mais la création du quotient familial plombe le système qui est supprimé en octobre 1948 par De Gaulle.

MAI 68 ENTERRE L’IDÉE

Sous la IVe République, les rares tentatives tombent à l’eau aussi vite que les gouverneme­nts. Il faut attendre le milieu des années 1960 pour que l’idée revienne au goût du jour. En 1967, Jacques Chirac, fringant jeune secrétaire d’Etat à l’Economie et aux Finances, installe une commission d’études sur le sujet. C’est sans compter les événements de Mai 68. Le projet est illico enterré, par crainte de son impact sur les salaires nets. Le point 11 des accords de Grenelle est sans équivoque : « Il ne sera pas proposé d’assujettir les salariés au régime de la retenue à la source. »

N’importe, en octobre 1973, la mesure ressort des cartons. Cette fois sous la houlette de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, qui souhaite moderniser la collecte de l’impôt. Les débats à l’Assemblée nationale sont acharnés et… le prélèvemen­t à la source est une nouvelle fois abandonné. Dans une note, le rapporteur général du Sénat est catégoriqu­e : « L’Etat se déchargera­it sur les employeurs de l’impopulari­té de la ponction fiscale, ce qui, dans le climat social français, risquerait d’entraîner de graves répercussi­ons. On peut craindre, par conséquent, que la retenue à la source n’entraîne des revendicat­ions généralisé­es en matière de salaires. »

Une crainte qui résonne étrangemen­t aujourd’hui… Au fil des décennies suivantes, les rapports d’experts en faveur de ce big bang fiscal se succèdent. Début 2007, Thierry Breton, ministre de l’Economie, engage une concertati­on en vue de basculer dans le nouveau système au 1er janvier 2009, fanfaronna­nt : « Il n’y aura plus qu’à appuyer sur le bouton lors du vote du projet de loi de Finances pour 2008. » Patatras. La présidenti­elle de mai 2007 et la victoire de Nicolas Sarkozy, qui s’était déclaré contre pendant la campagne, enterrent encore le projet. En 2016, un président socialiste, François Hollande, parvient à faire voter cette réforme avec… le soutien des députés frondeurs. Elle atterrit un an plus tard sur le bureau d’Emmanuel Macron, nouvelleme­nt élu. Pas particuliè­rement emballé, il repousse son applicatio­n d’un an, avant de la lancer en janvier 2019. La fin d’une bataille politique vieille de quatre-vings ans.

 ??  ?? Antienne En 1973, Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances, tente de justifier la retenue à la source. En vain.
Antienne En 1973, Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances, tente de justifier la retenue à la source. En vain.

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