UN CENTRE DES IMPÔTS SUR LE PIED DE GUERRE
Dès le 2 janvier, les fonctionnaires du Trésor public se sont mobilisés face aux réclamations des contribuables.
Bonne année et, surtout, bonne santé ! » Arlette, Michel, Anne, Jean-Marie, Régine… Ils sont une poignée de retraités à se retrouver dès 9 heures à l’ouverture des portes du centre des impôts du Xe arrondissement de Paris, cité Paradis, ce mercredi 2 janvier. Malgré le froid, l’ambiance est cordiale, alors qu’ils ne se connaissaient pas trois minutes avant. Ce qui les amène ? A partir de ce jour, ils peuvent demander à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) de changer le taux auquel ils seront prélevés à la source tout au long de l’année 2019. Celui-ci a été fixé en fonction de leurs revenus de 2017, et ils estiment que leur pension sera trop ponctionnée par rapport à leurs revenus actuels. La bonne résolution qu’ils ont prise le 31 au soir? Ne pas perdre un seul instant pour remettre les pendules à l’heure.
« Ils se gavent déjà assez comme ça sur nous! », fulmine Arlette, un bout de femme énergique de 66 ans. Elle était la première sur place, dès 8h55. En 2017, sa modeste retraite était doublée par une rente versée par son ancien employeur. Le taux de prélèvement qui lui a été communiqué en fin d’année dernière s’élève à 13,1 %. D’après ses calculs, compte tenu de ce qu’elle touche aujourd’hui, il ne devrait être que de 3,3 %. Si elle ne passe pas par son compte fiscal en ligne pour demander la modification, c’est qu’elle est sûre que sa démarche sera plus efficace sur place. Régine, 66 ans elle aussi, a pris sa retraite en avril 2017, en bénéficiant pour l’occasion d’une prime qui a gonflé ses revenus. En 2018, avec la mensualisation qui était prélevée dans la deuxième partie du mois, elle avait le temps de s’acquitter de son loyer avant de régler ses impôts. Désormais, avec un prélèvement à la source sur sa pension dès le début du mois, elle craint d’être ricrac plus tôt : « Ma banque me prend 5 euros d’agios par jour pour 100 euros de découvert! », s’affole-t-elle. Internet ? Elle préfère « le contact humain ». Tandis que Michel, 69 ans, retraité de la fonction publique hospitalière, s’attend lui aussi à être surimposé, puisqu’il a cumulé jusqu’en août 2018 sa pension avec un travail de tutorat pour les nouvelles recrues de son service : « Je ne rentre pas dans leur logiciel », assure ce rebelle qui ne possède « ni ordinateur, ni carte bleue ».
UN MANQUE DE FORMATION
Ces retraités inquiets et râleurs se confrontent à des fonctionnaires au taquet. Cité Paradis, trois agents les aident à faire leurs démarches, derrière les guichets situés au fond du vaste hall. Ils sont assistés par un inspecteur des impôts, qui vole de l’un à l’autre en fonction de la complexité des cas. « En
temps normal, cette première semaine de janvier, il n’y aurait eu que deux personnes à l’accueil », témoigne le directeur du centre, Alain Roche, impeccablement cintré dans son costume bleu. En novembre, le directeur général de la DGFIP, Bruno Parent, a en effet émis une note pour demander, « dès le 2 janvier », « la forte implication de tous », face aux demandes de « renseignements, précisions ou de changements de taux ». Il fallait répondre présent, notamment dans ce quartier parisien qui n’est pas peuplé que de geeks à trottinette. De fait, en milieu de matinée, tous les sièges de la salle d’attente sont occupés, et une petite file de personnes debout s’est même formée devant les guichets.
Les agents des impôts s’attendaient donc à être sollicités. Ce qui n’exclut pas une certaine appréhension de leur part. C’est qu’ils ont notamment à expliquer aux usagers que, même effectuées au plus vite, les modifications de taux ne seront effectives que dans deux à trois mois. Et que, en règle générale, les trop-perçus ne pourront pas être remboursés avant 2020. Cela alors que le contexte social se prête mal à une réforme qui touche à la paye des Français. Pour mémoire, les gilets jaunes ont fait subir des dégradations à plus d’une centaine de trésoreries à travers le pays. L’une d’elles, dans les Bouches-du-Rhône, a même été incendiée, alors que le percepteur dormait au-dessus. « Les collègues craignent que le prélèvement à la source ne remette une pièce dans le juke-box », témoigne Hélène Fauvel, secrétaire générale de FO Finances publiques, depuis sa permanence située à deux pas de la cité Paradis.
« Il y a de l’inquiétude, d’autant que tous les agents n’ont pas encore été formés. Nous ne sommes pas prêts », renchérit Christophe Crépain, de Solidaires Finances publiques Paris. La DGFIP s’est donné pour objectif de former 50 % des 40000 fonctionnaires concernés pour le début de l’année, se laissant l’échéance de mars pour l’ensemble de l’effectif. « Ils ne connaissent pas suffisamment le nouveau logiciel. Aujourd’hui, pour eux, c’est une journée de formation », ironise JeanMarie, un jeune retraité de 64 ans qui sort du centre après avoir passé près d’une heure à résoudre son problème. Les agents ont donc le sentiment d’être jetés dans la bataille avant d’avoir bien ajusté leur armure. Ce qui se greffe sur un malaise plus ancien : année après année, les troupes du fisc ont maigri, en partie avec la digitalisation de l’impôt. La DGFIP, encore forte de 104 000 agents, a perdu 20 000 postes depuis 2008. Ce qui en fait « la principale contributrice à la maîtrise des effectifs de l’Etat », a reconnu la Cour des comptes, en juin. Et ce n’est pas fini, puisque 2140 postes ont été encore supprimés dans le budget 2019.
ANTICIPER L’AFFLUX
Ce 2 janvier, face à une affluence inédite, la mobilisation des fonctionnaires du centre du Xe arrondissement a toutefois payé. « Nous avons reçu 180 personnes, soit le double par rapport au même jour l’année dernière, mais tout s’est bien passé », assure Alain Roche. A l’échelle nationale, combien d’usagers se sont rués sur les services fiscaux dès le premier jour de l’année? Au total « moins de 1 % des contribuables », a twitté Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics. Mais ce n’est qu’un début, puisque les salariés ne toucheront leur salaire écorné par le prélèvement qu’en fin de mois. C’est alors qu’ils risquent de se tourner vers l’administration. « On aura sans doute un afflux assez important », anticipe déjà le prudent Alain Roche.