Un pays au défi de la diversité
Pas facile de développer son entreprise, au Japon, quand on est à la fois femme et étrangère… Témoignage.
C’est un immeuble modeste de briques marron et de fausses boiseries beiges de Yokohama, au sud de Tokyo. D’origine thaïlandaise, Rassarin Chinnachodteeranun y reçoit dans un petit appartement transformé en bureau, celui de sa société, ListenField, une start-up soutenue par Orange Fab Asia, l’accélérateur du groupe français Orange. « Je ne voulais pas m’installer à Tokyo, explique l’avenante trentenaire aux cheveux courts. C’est trop cher et trop bruyant. »
Originaire de Nakhon Nayok, une ville rurale au nord-est de Bangkok, elle gère depuis le Japon son activité, un service de gestion et d’analyse des données agro-environnementales fournies par des satellites, des drones ou des capteurs. « Ces informations sont éparses, explique-t-elle. Nous les rassemblons pour des acteurs du secteur agricole afin qu’ils puissent mieux anticiper et améliorer les performances des exploitations. » A ses clients agriculteurs s’ajoutent plusieurs autorités locales.
L’entreprise a été créée le 5 juin 2017 par la jeune femme et son directeur de thèse, Kiyoshi Honda. La cheffe d’entreprise a en effet passé un doctorat à l’université Chubu (Nagoya, centre du Japon). Pour ListenField, elle a réuni 15 millions de yens (120 000 euros), notamment auprès d’investisseurs japonais, américains et thaïlandais. La petite société travaille en partenariat avec le géant des télécommunications NTT DoCoMo. Elle emploie une dizaine de personnes au Japon, en Thaïlande ou encore au Pakistan. Tous collaborent en ligne.
LES JEUNES RESTENT CONSERVATEURS
L’expérience de l’entrepreneuse au Japon n’a pas toujours été facile. Ses soucis s’expliquent, selon elle, par le manque de diversité d’un pays qui a pourtant adopté en décembre une loi encourageant la venue de travailleurs étrangers afin de compenser la pénurie de main-d’oeuvre. « Le Japon doit s’ouvrir à l’autre », lance Rassarin Chinnachodteeranun, qui regrette le décalage entre le discours des dirigeants et la réalité quotidienne. « Les membres du service d’immigration restent coincés dans les pratiques anciennes. » Elle-même en a fait l’expérience, peinant pour obtenir un visa de personne hautement qualifiée.
Ce n’est pas sa seule expérience désagréable. Trouver des financements est une tâche ardue : « L’agriculture n’attire pas les investisseurs », explique Hiroshi Nishikawa, d’Orange Fab Asia. A cela s’ajoute, pour Rassarin Chinnachodteeranun, le fait d’être à la fois étrangère et de sexe féminin : « La situation s’améliore, mais lentement. Au début, j’étais toujours la seule femme dans les conférences ; aujourd’hui, ce n’est plus le cas. »
Les jeunes restent conservateurs, souligne-t-elle : « Ceux qui ont été à l’étranger sont entreprenants. Mais ceux qui sont restés au Japon, majoritaires, n’aspirent qu’à intégrer une grande entreprise et à y faire carrière. C’est la solution la plus confortable. » Pour elle, le Japon apparaît isolé, vivant un peu sur ses succès technologiques passés. « S’il n’évolue pas, il ne pourra pas gagner. Le monde est devenu trop diversifié pour cela. »