L'Express (France)

“Henry Miller me faisait beaucoup rire”

Rencontre avec « Hoki », la dernière épouse du mythique écrivain américain, dans son piano-bar de Roppongi.

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Tous les soirs ou presque, elle s’installe au piano et chante l’amour dans son club de Tokyo, le Tropique du Cancer. L’endroit, chaleureux, est baigné d’une lumière dorée. Au mur, des dessins naïfs signés Henry Miller. Tenue léopard et teinture blonde, Hoki Tokuda, 85 ans, a été la dernière épouse de l’écrivain américain. Après une magistrale interpréta­tion de My Melancholy Baby, elle raconte à L’Express ses années californie­nnes.

l’express Quand avez-vous rencontré Henry Miller ?

H. T. Au cours d’une soirée qu’il avait donnée chez lui, dans sa maison de Los Angeles, à Pacific Palisades. C’était en 1967. Il y avait une table de ping-pong, il m’a proposé de jouer avec lui. Il n’arrêtait pas de tricher ! A l’époque, je chantais et je jouais du piano dans un restaurant sur Sunset Boulevard. Mon père était diplomate, j’avais suivi des études dans un collège canadien avant d’aller tenter ma chance aux Etats-Unis. Henry m’a dit qu’il avait envie de m’épouser. J’avais 34 ans, lui, 76. J’ai été sa cinquième femme, mais, en réalité, on s’est mariés deux fois !

Pourquoi?

H. T. Lors de notre voyage de noces, en France, Henry a reçu un coup de téléphone de l’ambassade américaine à Paris. Notre mariage ne pouvait pas être validé, car Henry n’avait pas divorcé de sa précédente épouse. Nous avons dû retourner aux EtatsUnis, à Las Vegas, pour nous remarier! Nous sommes restés dix ans ensemble, puis nous avons divorcé en 1977, trois ans avant sa mort. Je suis rentrée à Tokyo en 1983.

Quels souvenirs gardez-vous de ces années californie­nnes ?

H. T. Il y avait sans cesse des fêtes, c’était délirant et, en même temps, plutôt choquant. Nous étions en pleine guerre du Vietnam, des Américains se faisaient tuer à l’autre bout de la planète et nous menions une vie insouciant­e… Henry recevait beaucoup d’amis. Pour se parler tous les deux, nous devions nous isoler dans la salle de bains! L’été, nous partions à Saint-Tropez. Nous en profitions pour voir son meilleur ami, Lawrence Durrell, dans sa maison de Sommières, dans le Gard.

Et entre vous et Miller, ça se passait bien ?

H. T. Il me faisait rire tout le temps ! Il m’écrivait des lettres tous les jours – notre correspond­ance a d’ailleurs été publiée [chez iUniverse, en 2000, non traduite]. Henry et moi, nous avions plus de 40 ans de différence. Nous n’avons jamais dormi ensemble. Son médecin m’avait dit qu’il était trop faible pour faire l’amour. Nous ne nous sommes embrassés qu’une fois.

C’était comment ?

H. T. Mouillé.

Lequel de ses livres préférez-vous ?

H. T. Je n’en ai lu qu’un, The Cosmologic­al Eye. En revanche, j’aimais bien ses tableaux. Henry peignait beaucoup à la fin de sa vie. Ses toiles étaient naïves et maladroite­s, mais elles étaient très colorées. Il m’en avait dédicacé une trentaine. Il me disait : « Tu les revendras lorsque je ne serai plus là, ça te fera de l’argent. » Malheureus­ement, on me les a toutes volées. Il ne me reste que des reproducti­ons.

Savez-vous pour quelle raison il vous a épousée ?

H. T. Il savait que je voulais rester travailler aux Etats-Unis, il a voulu m’aider. Plus tard, j’ai compris qu’il y avait une autre raison. A cette époque, Anaïs Nin, avec qui il avait vécu une folle passion, était installée avec un Asiatique. Henry était très impatient de me présenter à elle. Je pense qu’il voulait lui montrer qu’il sortait avec une Japonaise ! Au fond, il était encore très amoureux d’elle.

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 ??  ?? Souvenir A g., leur mariage dans les années 1960. « J’avais 34 ans, lui, 76 », dit Hoki Tokuda, 85 ans aujourd’hui.
Souvenir A g., leur mariage dans les années 1960. « J’avais 34 ans, lui, 76 », dit Hoki Tokuda, 85 ans aujourd’hui.

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