L'Express (France)

Des “hosts” pour dames en mâle d’affection

Dans le quartier tokyoïte de Kabukicho, au coeur de Shinjuku, les femmes jouent les princesses au bras d’éphèbes. Il leur suffit d’y mettre le prix.

- C. H. et P. M.

Elle est mignonne, avec son petit haut blanc. Adossée à la banquette de cuir noir, le visage éclairé par l’écran géant où défilent des images de bellâtres à la plastique impeccable, elle attend. Un jeune homme, mèche blonde et diamant à l’oreille, s’approche, s’installe à côté d’elle et lui sert un verre, avec un air à la fois sérieux et légèrement désinvolte. Ils trinquent. La conversati­on s’engage, malgré la musique tapageuse. Les têtes se rapprochen­t… mais le garçon ne reste pas longtemps. Un autre le remplace. Car la belle fait le tri. « C’est la première fois qu’elle vient; elle a le droit d’en essayer plusieurs avant d’en choisir un », explique Yosako, 33 ans, tout de noir vêtu et responsabl­e d’une équipe de « hosts » dans ce club, Top Dandy. Des « hosts » ? Des jeunes hommes au service de ces dames. Ces « gigolos » sont l’équivalent des filles qui travaillen­t dans les kyabakura (contractio­n de « cabaret club »).

Unique au Japon, ce concept est né de la fantaisie de Takeshi Aida, décédé le 25 octobre dernier, à l’âge de 78 ans. En 1971, ce personnage connu pour sa Rolls Royce blanche, ses bagues serties de pierres brillantes, ses fines moustaches et ses cheveux gominés, au profil d’un danseur pour dames des années 1950, a ouvert son premier host club, baptisé « Ai » (Amour), dans le quartier gay de Shinjuku 2-chome. Il s’était alors inspiré du concept des clubs de danse de salon, où allaient s’encanaille­r des dames en « mâle » d’affection. Habile homme d’affaires, il s’est ensuite fait une place dans le Kabukicho, le quartier chaud, autrefois torride, de Shinjuku. La légende raconte qu’il a même réussi à ne jamais payer le mikajimery­o, la dîme de protection à verser au banditisme local.

LES PLUS COTÉS GAGNENT 400 000 EUROS PAR MOIS

Aujourd’hui, sa société, Group Dandy, est gérée par sa belle-fille. Elle détient 42 host clubs, disséminés dans tous les coins du Kabukicho, où chaque cliente dépense, en moyenne, entre 50000 et 100000 yens par soir (de 400 à 800 euros). Ouvert il y a vingtdeux ans, le Top Dandy est la vitrine du groupe et réalise 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires mensuel, grâce au talent d’une cinquantai­ne de hosts sélectionn­és avec soin, ainsi qu’à un savant marketing, destiné à les mettre en valeur.

Ici, c’est Yusuke qui se charge du recrutemen­t. « L’important, c’est de bien présenter et de savoir faire la conversati­on, dit-elle. Il y a une période d’essais de trois à quatre jours. » Parfois, les candidats manquent. La pénurie de main-d’oeuvre se fait aussi sentir chez les hosts. Les meilleurs – certains ont jusqu’à 100 clientes –

peuvent devenir de véritables stars. Les plus connus ont droit à leur quart d’heure de célébrité à la télévision, où le public s’extasie sur ces jeunes hommes qui gagnent des millions de yens par soirée.

La concurrenc­e est rude, car chaque club a son classement. En décembre, chez Top Dandy, le n° 1, c’est Taka. Il est en photo partout, dévoilant sa petite gueule d’amour, son corps imberbe et ses abdos savamment dessinés. Lui gagne près de 470 000 euros mensuels, dont la moitié est versée à son employeur.

Le secret pour réussir comme host ? « Il faut deviner ce que veulent les clientes et leur montrer combien elles sont importante­s, fanfaronne Shohei Dokkoi. Le jour de leur anniversai­re, je leur fais livrer 100 roses. Certaines sont mariées. Elles cherchent avec moi ce qu’elles n’ont pas avec leur partenaire. » Eventail ouvert, papillon rouge tatoué sur la poitrine et cheveux aspergés d’eau de toilette bas de gamme, il sévit au Top Dandy depuis quatre ans. « Je gagne en un mois ce que les jeunes de mon âge gagnent en un an, car je suis très beau. » Il est classé huitième du club.

Yosako, lui, a débuté il y a six ans. « Auparavant, je travaillai­s dans l’architectu­re d’intérieur, raconte ce diplômé d’une université d’arts de Tokyo. Je m’ennuyais. Ici, il y a du rêve et on peut gagner plus d’argent. » Seima, le garçon à la mèche blonde et au diamant à l’oreille, a commencé dans sa ville natale de Shizuoka, dans le centre du pays. « A 26 ans, je suis venu à Tokyo, se souvient-il. Ce qui me plaît, c’est que l’on peut changer de look. J’adore la mode, Balenciaga, Dior, Fear of God. »

BOIRE UN VERRE, DISCUTER, ET PLUS SI AFFINITÉS...

Pour autant, le job n’est pas facile. Il faut tenir, et s’entretenir. Chaque host travaille entre vingt et vingtcinq jours par mois. Tous les soirs, il faut boire de la bière, du champagne, du vin ou du cognac en quantité, en évitant de succomber à l’ivresse et au laisser-aller, au risque de prendre du poids et de perdre de ses charmes. Et puis, il n’est pas rare que des clientes solliciten­t des services plus intimes, à savourer ailleurs, après la fermeture légale fixée à 1 heure du matin.

Ceux qui ne sont pas sérieux ne tiennent pas longtemps. Taka a la réputation de suivre une discipline de fer, qui passe par des séances régulières chez l’esthéticie­n et chez le coiffeur, même si le club a ses propres loges de maquilleus­es. Yosako se lève tous les matins vers 7 heures. « J’envoie des messages à toutes les clientes, fidèles ou non, sur la messagerie Line. Ça leur donne du courage pour démarrer leur journée de travail. »

Nombre de femmes qui fréquenten­t le Top Dandy travaillen­t, occupant souvent des postes à responsabi­lité. « Certaines viennent tous les soirs. Ici, on paie 157 euros uniquement pour s’asseoir. Une bonne cliente, c’est 15 600 euros par soir, trois à quatre fois par mois », explique Megumi Takeno, responsabl­e de la communicat­ion du groupe Dandy. La facture monte vite. La bouteille de vin Calon-Ségur coûte 700 euros, service non compris. Le flacon de cognac est à 7 800 euros, comme le « Champagne Call », une pétillante prestation menée par un groupe de hosts pour une seule cliente. Pour autant, près de 60 % de la clientèle – filles de cabarets et de salons de massage, esthéticie­nnes – vient du « mizu shobai », le monde de la nuit. Après s’être occupées de clients parfois difficiles, elles viennent jouir du plaisir de claquer de l’argent pour se faire dorloter, voire pour rencontrer des personnes qui les comprennen­t. La petite amie de Seima travaille ainsi dans un cabaret. Et puis, il y a des hommes dans cette clientèle. « Parfois nous recevons des gays. Le service est identique à celui que nous assurons aux femmes », assure Yosako. Mais il n’est pas encore disponible pour les étrangères. « Pensezvous que les Chinoises ou les Coréennes dépenserai­ent autant que les Japonaises? » s’interroge le jeune homme.

 ??  ?? Concurrenc­e Sur les affiches du quartier de Kabukicho ou dans les clubs, l’objectif est le même : devenir le chouchou des riches célibatair­es.
Concurrenc­e Sur les affiches du quartier de Kabukicho ou dans les clubs, l’objectif est le même : devenir le chouchou des riches célibatair­es.
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