L'Express (France)

Où boire un “vrai café” à Tokyo ?

Rétro ou néo, les cafés artisanaux ont la cote. Les passionnés s’y retrouvent, sur un air des Doors ou d’Edith Piaf.

- C. H. et P. M.

Bien sûr, il y a Starbucks, Tully’s, Excelsior et Doutor. Ces enseignes populaires proposent caffe latte, cappuccino, mocha et autres produits trendy à base de café. Mais les amateurs d’arômes plus complexes trouveront plutôt leur bonheur dans les vieux kissaten, ces cafés à la mode occidental­e, apparus au Japon à la fin du XIXe siècle.

Premier d’entre eux, le Kachiichak­an fit rapidement faillite, mais il conserve une image de pionnier dans l’imaginaire des amateurs. Une statue a même été érigée en 2008 à l’emplacemen­t qu’il occupait, dans le quartier d’Ueno. L’hommage rappelle à quel point le café demeure une boisson prisée dans l’archipel, quatrième importateu­r mondial – 462 000 tonnes en 2017, venues principale­ment du Brésil.

Au Japon, les kissaten ont connu des fortunes diverses. Certains, comme Saboru, dans le quartier de Jimbocho, ou le Café de l’ambre, à Ginza, ont su traverser les époques, en s’appuyant sur leur forte identité. L’arrivée des grandes chaînes – Starbucks et autres – dans les années 1990 les avait ringardisé­s. Ces gargotes décaties traînaient alors l’image vieillotte du « café à papa », où l’on venait écouter des airs d’enka (style de chansons en vogue dans les années 1950). Aujourd’hui, leur charme désuet attire les touristes et les jeunes locaux, nostalgiqu­es d’une époque où tout réussissai­t au Japon. Il inspire une nouvelle génération de baristas qui ravivent le plaisir du café torréfié maison, moulu et préparé sous les yeux du client. « Ces méthodes artisanale­s plaisent aux consommate­urs experts, en attente d’une offre pointue », a pu constater Nicolas Riché, patron de Columbus Café, une dynamique PME française intéressée par le marché nippon. Au comptoir ou sur un tabouret qui sent le vieux bois, voici trois endroits pour boire un café à la mode tokyoïte.

ROSTRO

Trois siphons impeccable­ment alignés dans un coffrage ajouré de bois clair, deux moulins de fer forgé à manivelle fixés au comptoir et des hautparleu­rs diffusant de la folk nippone des années 1970… Le café Rostro a ou- vert en juin 2017 dans le quartier huppé de Tomigaya, à deux pas de Shibuya. Le concept de ce japanese coffee shop, comme l’annonce fièrement sa devanture ? Profiter autant du goût que de la savante et précise gestuelle de la préparatio­n. « Nous suivons la “voie du café” comme il existe la voie du sabre, le kendo », confie le propriétai­re, Keiichi Shimizu, à la mèche savamment plaquée sur le front. Illustrati­on avec une cliente dans la trentaine, ongles roses et manteau beige. Perchée sur un haut tabouret, elle prend le temps d’expliquer à la serveuse le café qu’elle souhaite. « Doux, avec une touche légèrement chocolatée. Pas trop fort. » Quelques minutes plus tard, son café arrive, servi dans une jolie tasse en porcelaine blanche à motifs dorés, siglée Nakayama, « une marque qui a autrefois fourni la maison impériale », précise Keiichi Shimizu.

Intéressé par la restaurati­on depuis un job d’étudiant dans un restaurant d’unagi (anguille), il surfe aujourd’hui sur le renouveau du café après moult expérience­s dans ce secteur. « Au Japon, nous avons la tradition de l’échange autour du comptoir dans les restaurant­s, notamment de sushis, dit-il. Le client se laisse guider

par le chef, qui lui propose une riche variété de goûts. C’est ce que j’ai voulu faire ici. » Avec un certain succès : Rostro ne désemplit pas

DOUBLE TALL COFFEE BAR

La taille du Double Tall Coffee Bar est inversemen­t proportion­nelle à la qualité de son café. Lové au pied du Cocoti Building, au coeur de la bran- chitude tokyoïte, à mi-distance des vibrionnan­ts quartiers de Shibuya et de Harajuku, l’échoppe aux boiseries bleu roi ne propose que des cafés à emporter. Derrière le comptoir, le souriant Kenta Tamura, champion du Japon du caffe latte et des motifs dessinés sur la crème.

« J’ai découvert les charmes de l’expresso en travaillan­t chez Starbucks, puis aux Bacchanale­s », un restaurant français de Tokyo. A la suite d’un accident de moto qui le cloue au lit pendant un an, il réfléchit à un nouveau projet. Et le voilà au comptoir du Double Tall, ouvert en 2014 par l’un de ses amis, l’ex-pilote automobile Shojiro Saito. Passionné de mécanique et d’art culinaire, à l’affût des dernières tendances, celui-ci a imaginé un nouveau type d’injecteur, capable d’améliorer la qualité de la mousse de lait. « Elle est plus onctueuse, non ? » Elle l’est.

Shojiro Saito s’est lancé il y a peu dans la culture de café à Hawaii, en s’inspirant du concept américain de « Ground to cup » (maîtriser toute la chaîne du café, du grain jusqu’à la tasse). Il réfléchira­it maintenant au Txpresso (prononcez « tixpresso »), l’expresso de thé, « la tendance montante, soutenue par le gouverneme­nt qui veut relancer la consommati­on de thé japonais ».

SABORU

« Emi et Shin. » Les prénoms des deux amoureux se distinguen­t près d’un petit coeur peint en blanc sur l’une des briques sombres du café Saboru. Ici, les murs sont des hymnes à l’amour. Impossible de savoir combien de couples y ont gravé leurs initiales depuis l’ouverture, en 1955, de ce café aux grandes baies vitrées, une révolution à l’époque, dans une venelle de Jimbocho, le « Quartier latin » de Tokyo, connu pour ses université­s, ses libraires et ses maisons d’édition.

Passé la totem door, l’entrée flanquée de deux sculptures de bois réalisées par un ami de Fumio Suzuki, 85 ans – le créateur du lieu, surnommé « Master » par le personnel –, le client disparaît entre deux portants de bois sombre, ornés de statues évoquant l’Afrique et chargés d’une foule de bibelots offerts par les clients. Sur les petites tables, on sert le café avec des cacahuètes. Saboru est également connu pour ses spaghettis napolitain­s, des pâtes au ketchup uniques au Japon.

Malgré son aspect vieillot, le Saboru ne s’est jamais démodé. Dans les années 1960, les étudiants des université­s voisines s’y retrouvaie­nt, les célébrités aussi. Aux murs sont accrochées des photos de Shusaku Endo (1923-1996). Le fameux romancier, auteur de Silence, était un habitué d’un lieu que le temps semble épargner. « Il a bien résisté au séisme de mars 2011 », sourit Masafumi Ito, le gérant du lieu. Il a pourtant fallu se résoudre à couper le cèdre sacré qui poussait près de l’entrée et dominait les bâtiments du quartier. « Il était là depuis l’ouverture du café, ajoute-t-il. Le Master a pleuré quand on l’a élagué. »

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 ??  ?? Rituel Le concept du coffee shop Rostro ? Savourer autant le goût du breuvage servi que la savante et précise gestuelle des préparatio­ns.
Rituel Le concept du coffee shop Rostro ? Savourer autant le goût du breuvage servi que la savante et précise gestuelle des préparatio­ns.
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Passionné Kenta Tamura, champion du Japon du caffe latte, est aux commandes du Double Tall Coffee Bar.
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Intemporel Ouvert depuis 1955 et situé dans Jimbocho, le « Quartier latin » de Tokyo, le Saboru est toujours à la mode.

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