Une odyssée en canapé-lit
Avec Pierre Jourde au volant, un hilarant périple à travers la France et les souvenirs d’une famille fantasque.
Le récit, bric-à-brac d’histoires familiales, s’envole tandis que défilent les paysages
C’est un festival. de bons mots, de tirades désopilantes, d’anecdotes savoureuses, de trouvailles linguistiques, de digressions baroques, d’habiles exercices d’autodérision. dès l’entame de ce Voyage du canapé-lit, on sent qu’un bonheur de lecture va nous accompagner tout au long de ce récit-roman, où, nous prévient l’auteur, tout est vrai mais rien ne s’est déroulé dans la temporalité associée. « Ma grand-mère est morte en pleine forme. » Tandis que claque la première phrase, s’ébauche le portrait de cette Mémé noussat, aussi méchante et pingre que son couteau de bouchère était affûté, et particulièrement ignoble avec sa propre fille, cette mère aimante et aimée de ses enfants. A la recherche d’une réconciliation posthume, cette dernière décide de garder l’horrible canapé-lit olive à fleurettes de la défunte et demande à ses fils de le convoyer jusqu’à la maison familiale du hameau auvergnat, celui-là même où Pierre Jourde faillit être lynché après avoir publié son Pays perdu.
Qui n’a pas rêvé de faire CréteilLussaud par les nationales (dont la 7) au volant d’un Jumper ? Pierre Jourde s’en charge, et embarque le lecteur un week-end de Pâques en compagnie de son frère Bernard, dit « le génie du Mal », de sa belle-soeur Martine, et du fameux canapé-lit, objet maudit à l’instar de tous ceux avec lesquels il noue une relation conflictuelle depuis l’enfance. Les paysages défilent, le récit, bric-à-brac d’histoires familiales, s’envole. Les frasques du jeune Bernard, les chahuts de Pierre, les démêlés musclés avec les voisins, le passage épique du Mexique au Guatemala, les virées périlleuses en canoë, la rencontre avec ses homonymes… Le tout, entrecoupé par quelques évocations des villes traversées : Briare, La Charité, Moulins, Gannat, Aigueperse… Le lecteur, souvent pris à partie, ne s’ennuie pas une seconde durant ce long trajet, d’autant que les scènes d’anthologie se succèdent. A retenir, deux séquences scatologiques hilarantes mettant en scène l’auteur de La Littérature sans estomac, l’une sur un col du Tibet, l’autre à la remise du prix de la critique de l’Académie française, le dernier qu’il recevra sans doute tant sa description des « vieux clowns arthritiques », « cheptel cacochyme » descendant avec difficulté les marches de la Coupole, est délicieusement irrévérencieuse. Comme ce voyage, parfait élixir de bonne humeur.
LE VOYAGE DU CANAPÉ-LIT
PAR PieRRe JOURde. GALLiMARd, 272 P., 20 €.