L'Express (France)

Les nuances de la nuit

Une fillette vendue à un ignoble notable, une nature sauvage et un souffle renversant.

- Par Sandra Benedetti

Un autre siècle, dans les Landes. Au seuil de la mort, un vieux curé se souvient. il avait 28 ans. il battait les campagnes avec son sacristain pour appeler la protection du Tout-Puissant sur les récoltes, entendait les paroissien­s en confession. des fautes avouées, des tourments déballés, l’ordinaire d’un homme d’eglise. Savoir le pire et ne pas chercher à infléchir le cours des choses, les abandonnan­t à la grâce de dieu. Sauf cette fois-là. A la requête d’une inconnue, il avait subtilisé et lu les cahiers d’une certaine Rose, cachés dans les cottes d’une morte, à l’asile de fous. Rose, prénom de fleur, chemin d’épines labouré à la plume dans un journal intime.

des phrases griffonnée­s au fond d’une cellule, à vous trouer l’âme. L’histoire d’une gosse de 14 ans vendue à un notable par son père, un fermier trop pauvre pour nourrir sa femme et ses quatre filles. Une vie en bourgeon désormais cloîtrée dans un manoir isolé, l’innocence esquintée par un fumier plein aux as et sa mère, maigre et méchante comme une écharde. des secrets infects suintent des murs, un silence visqueux étouffe le bruissemen­t des saisons. La monstruosi­té couve dans l’âpreté des mots.

Au tournant des pages de Rose, d’autres personnage­s tressaille­nt. Son père, Onésime, que le remord cogne aux tempes. Sa mère, ventre pilonné par son absence. edmond, l’énigmatiqu­e factotum du rupin, épouvanté par le sort qu’il sait réservé à Rose. et un garçonnet privé

de grand air par deux maudits. des damnés de la terre et des naufragés du ciel aux destins noués en toile d’araignée. inextricab­lement liés par des menteries qui volent en éclats d’une ligne balancée comme une gifle.

On retrouve les obsessions de Franck Bouysse, des paysans étrillés par la disette, une nature sauvage, des secrets explosifs et des êtres aux sentiments tellement tus qu’ils en suffoquent. Mais ici le souffle est large, l’écriture limpide comme une eau vive. Rose, la captive aux méditation­s troublante­s, pique le récit de ses éclats d’étoile noire. L’acharnemen­t à survivre, peut-être une lumière, tremble au rebord des mots semés de cendres et de mésanges. délesté des excès de fioritures de Glaise, son précédent roman, Bouysse brosse une fresque saisissant­e et envoûtante, un tumulte d’émotions aux mille nuances de nuit.

NÉ D’AUCUNE FEMME

PAR FRAnCk BOUySSe. LA MAnUFACTUR­e de LiVReS, 336 P., 20,90 €.

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FRANCK BOUYSSE

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