Désobéir à son destin
Murielle Magellan donne la vedette à une jeune serveuse complexée par ses origines modestes. Un roman d’actualité, sensible, très réussi.
Peut-on, comme le chantait Alain Souchon, « changer le sens des rivières » ?
Marie Leroy, 23 ans, aurait sans doute rallié les gilets jaunes. Orpheline de mère, un père grabataire à sa charge, cette serveuse d’une brasserie du Havre vit chichement de son salaire (1 600 euros, pourboires compris). « Sauver sa peau. Avoir un toit, de quoi manger, organiser son quotidien », voilà l’essentiel. Même si Marie, « beauté simple et tonique », se prend à rêver d’une idylle avec un graphiste de 25 ans, beau parleur, passionné de cinéma. Mais après une nuit ensemble, patatras : « Tu viens vraiment de la France profonde, en fait ! » lui lance-t-il. Forcément, la jeune femme ne sait pas qui est François Truffaut, n’a jamais vu Le Dernier Métro ni Les Quatre Cents Coups. « Pourtant le dernier métro, elle l’a déjà pris, et les quatre cents coups, elle les a déjà reçus »…
Peut-on désobéir à son destin quand on n’a pas fait d’études et que le sort s’acharne ? Peut-on « changer le sens des rivières », comme le chantait Alain Souchon dans La Beauté d’Ava Gardner ? d’où le titre de ce formidable roman, le cinquième de Murielle Magellan. Un récit d’apprentissage sensible, fort, pas misérabiliste ni complaisant, questionnant avec brio le fatum social et culturel d’une catégorie de Français, ces familles « qui rasent les murs ». Une partition mélodramatique contemporaine dont l’héroïne partage la vedette avec un juge « pénible et cassant », très clairvoyant en vérité : Gérard doutremont, la petite soixantaine, « obèse et encombré de lui-même », aussi érudit que pessimiste, bien plus nanti que Marie à tous points de vue.
C’est lui qui préside le procès en comparution immédiate dont elle écope après un geste de violence incontrôlé. C’est lui aussi qui la tire de ses affres financières en la recrutant comme chauffeur particulier pour quelques mois, en plus de son travail à la brasserie. egalement auteure de théâtre et metteure en scène, scénariste pour la télévision (P. J., Petits meurtres en famille) et pour le cinéma (Sous les jupes des filles, Si j’étais un homme), la romancière confirme son sens de la mise en scène, des dialogues, du rythme. elle impressionne par son habileté à confronter deux mondes moins étanches qu’il n’y paraît. et s’accorde une note d’espoir qui résonne agréablement en ces temps d’inquiétude.
CHANGER LE SENS DES RIVIÈRES
PAR MURieLLe MAGeLLAn. JULLiARd, 240 P., 19,50 €.