L'Express (France)

“Les séries font beaucoup de mal au livre”

Après une année 2018 médiocre, Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL), s’inquiète de la dynamique de l’édition française.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE PAYOT

l’express L’année 2018 a de nouveau connu une baisse en termes de ventes de livres. Est-ce, selon vous, le signe d’une crise structurel­le ou conjonctur­elle ?

Vincent Monadé Il semblerait que la fin du mois de décembre ait été excellente, il faut donc être prudent. Certes, cela ne va pas suffire à redresser l’année. J’aurais tendance à penser que c’est conjonctur­el, mais 2017 avait déjà été mauvaise, pour cause d’élection présidenti­elle. Il va falloir attendre que 2019 s’achève pour pouvoir vraiment analyser la nature de la crise.

Des centaines de nouveautés vont paraître durant les quelques semaines à venir. Ne publie-t-on pas trop ?

V. M. Tout le monde s’est jeté sur cette histoire de surproduct­ion, c’est la nouvelle antienne. Or, pour un éditeur, l’important n’est pas de savoir si l’on produit trop ou pas, mais si son chiffre d’affaires progresse. L’édition est un marché de l’offre, qui doit présenter une certaine diversité, et c’est un métier très dynamique, avec de nombreuses maisons qui se créent chaque année. Des milliers d’emplois sont en jeu… Reste qu’il s’agit là d’une question à laquelle les éditeurs euxmêmes réfléchiss­ent ; ils freinent d’ailleurs leurs publicatio­ns depuis quelque temps. En fait, je pense que le problème est surtout qualitatif, il y a ceux qui pratiquent une édition de qualité, qui prennent soin du texte mais aussi de l’actualité de l’ouvrage, et puis il y a des produits de consommati­on très courante. Cela dit, il est vrai que la vente de livres par titre s’est restreinte, le tirage moyen a baissé.

Au-delà des best-sellers, cela ne met-il pas en péril les écrivains, qui ne peuvent plus vivre de leur plume ?

V. M. De tout temps, rares ont été ceux qui ont pu y parvenir. Le phénomène dont on parle, l’effondreme­nt du milieu de chaîne, lui, est nouveau [les auteurs à 25 000 exemplaire­s qui n’en vendent plus que 10 000, NDLR]. C’est là qu’il faut porter l’effort pour les écrivains dont la réputation littéraire n’est pas discutable. La BD va très bien, le poche se porte étonnammen­t bien, le plus inquiétant est cette baisse des ventes en fiction grand format. Mais la solution passe-t-elle par une production moindre ou différente? Les gens se retrouvent-ils dans les livres qui leur sont proposés ? Regardez le nombre de gamins qui adorent la fantasy et auxquels l’école ne propose jamais rien dans le domaine…

Les pouvoirs publics doivent-ils accroître leurs aides ?

V. M. Le CNL soutient déjà la librairie, la fiction, la poésie, le théâtre, les traduction­s, les salons, l’Etat aide à travers les bibliothèq­ues… Nous avons un niveau d’aides inégalé par rapport aux autres pays européens – qui se contentent de soutenir la traduction de leurs livres à l’étranger. Je ne connais pas d’autre système de protection aussi complet que le nôtre. Les Espagnols et les Italiens, pour ne citer qu’eux, en sont jaloux.

Quels sont les grands défis de 2019 ?

V. M. Les lecteurs ! Il faut qu’on récupère les lecteurs, donc le combat à mener est celui de la lecture. Il est impératif qu’elle soit au coeur des pratiques culturelle­s des Français. Or, aujourd’hui, les séries, par exemple, font beaucoup de mal au livre. Les séries sont une machine à « défaire lire ». Il s’agit de redonner aux gens l’envie, il faut leur rappeler que reading is sexy. Ça, oui, c’est un enjeu de politique publique. J’ai toujours rêvé d’une grande campagne nationale, du type de celle qui préconise de manger cinq fruits et légumes par jour.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France