L'Express (France)

« Le patron dit avoir été harcelé par son agent de sécurité »

- Claire Padych (1) Le prénom a été changé.

Les conflits qui alimentent les prud’hommes reflètent, chaque jour, notre histoire sociale. L’audience de jugement est publique. Régulièrem­ent, une journalist­e de L’Express assiste aux débats.

Paris, conseil des prud’hommes. Le président mâchouille son stylo pendant que l’avocat lit conscienci­eusement la feuille qu’il tient. Son client, Raphaël (1), lunettes rondes et petite barbe, assis derrière lui, semble serein. Payé 3 370 euros brut par mois, il a été débarqué il y a deux ans de la société de sécurité dans laquelle il travaillai­t depuis trois ans pour « acharnemen­t et harcèlemen­t vis-à-vis de son employeur », selon les termes de la lettre de licencieme­nt. En d’autres termes : le patron « dit avoir été harcelé par son agent de sécurité », relate son conseil. Evidemment, les versions diffèrent. Chef de patrouille, Raphaël n’a jamais compris pourquoi sa prime était de 400 euros, quand ses collègues touchaient le double. Pire, on lui a refusé un port d’arme alors que les hommes sous ses ordres étaient équipés. Malgré ses demandes, il n’a obtenu ni promotion ni formation. Qu’à cela ne tienne, l’employé a financé lui-même son DUT (diplôme universita­ire de technologi­e) juridique.

A son retour, plein d’espoir, Raphaël postule à nouveau pour un poste de chef de groupe, mais échoue encore. Il en est certain : son patron lui en veut. Déterminé, il demande à voir son dossier personnel, un droit dont dispose chaque salarié. Face au refus de l’entreprise, il alerte la Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés (Cnil) et l’inspection du travail, qui intervienn­ent. Finalement, il parvient à consulter « quelques documents ». Pas assez à son goût. Sa hiérarchie, dit-il, « ne lui donne pas tout ».

Que lui cache-t-on ? L’avocat de son patron dépeint un homme « extrêmemen­t procédurie­r ». Cet « excellent élément sur le plan profession­nel » a envoyé, entre 2014 et 2016, dix courriers en recommandé, déposé cinq plaintes à la Cnil et deux à l’inspection du travail. « Il accuse l’employeur de mentir et de lui vouloir du mal : à un moment ce n’est plus possible, la coupe est pleine, c’est ingérable », plaide le conseil de l’entreprise.

« On lui reproche d’avoir fait usage de ses droits ! » rétorque l’avocat du plaignant. « Peut-être qu’on n’a pas répondu à tous ses courriers mais on n’a pas que ça à faire », contre-attaque son adversaire. Le plaignant demande

40 000 euros pour harcèlemen­t moral et, surtout, sa réintégrat­ion dans l’entreprise. Déconcerté­s, les conseiller­s prud’homaux bottent en touche et renvoient l’affaire au juge départiteu­r, un juge profession­nel qui entendra à nouveau les parties. Et déterminer­a peut-être qui a harcelé qui.

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