« Le patron dit avoir été harcelé par son agent de sécurité »
Les conflits qui alimentent les prud’hommes reflètent, chaque jour, notre histoire sociale. L’audience de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L’Express assiste aux débats.
Paris, conseil des prud’hommes. Le président mâchouille son stylo pendant que l’avocat lit consciencieusement la feuille qu’il tient. Son client, Raphaël (1), lunettes rondes et petite barbe, assis derrière lui, semble serein. Payé 3 370 euros brut par mois, il a été débarqué il y a deux ans de la société de sécurité dans laquelle il travaillait depuis trois ans pour « acharnement et harcèlement vis-à-vis de son employeur », selon les termes de la lettre de licenciement. En d’autres termes : le patron « dit avoir été harcelé par son agent de sécurité », relate son conseil. Evidemment, les versions diffèrent. Chef de patrouille, Raphaël n’a jamais compris pourquoi sa prime était de 400 euros, quand ses collègues touchaient le double. Pire, on lui a refusé un port d’arme alors que les hommes sous ses ordres étaient équipés. Malgré ses demandes, il n’a obtenu ni promotion ni formation. Qu’à cela ne tienne, l’employé a financé lui-même son DUT (diplôme universitaire de technologie) juridique.
A son retour, plein d’espoir, Raphaël postule à nouveau pour un poste de chef de groupe, mais échoue encore. Il en est certain : son patron lui en veut. Déterminé, il demande à voir son dossier personnel, un droit dont dispose chaque salarié. Face au refus de l’entreprise, il alerte la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et l’inspection du travail, qui interviennent. Finalement, il parvient à consulter « quelques documents ». Pas assez à son goût. Sa hiérarchie, dit-il, « ne lui donne pas tout ».
Que lui cache-t-on ? L’avocat de son patron dépeint un homme « extrêmement procédurier ». Cet « excellent élément sur le plan professionnel » a envoyé, entre 2014 et 2016, dix courriers en recommandé, déposé cinq plaintes à la Cnil et deux à l’inspection du travail. « Il accuse l’employeur de mentir et de lui vouloir du mal : à un moment ce n’est plus possible, la coupe est pleine, c’est ingérable », plaide le conseil de l’entreprise.
« On lui reproche d’avoir fait usage de ses droits ! » rétorque l’avocat du plaignant. « Peut-être qu’on n’a pas répondu à tous ses courriers mais on n’a pas que ça à faire », contre-attaque son adversaire. Le plaignant demande
40 000 euros pour harcèlement moral et, surtout, sa réintégration dans l’entreprise. Déconcertés, les conseillers prud’homaux bottent en touche et renvoient l’affaire au juge départiteur, un juge professionnel qui entendra à nouveau les parties. Et déterminera peut-être qui a harcelé qui.