VENEZUELA, LE CUBA DU XXIe SIÈCLE
Al’évidence, tout exclut le régime autoritaire, incompétent, corrompu et affameur du Venezuela de la sphère démocratique. A maints égards, la figure caricaturale de Nicolas Maduro évoque un épouvantail pour tout humaniste. Pourtant, par un enchaînement de causalité, ce pays prend soudain deux dimensions emblématiques. D’une part, au nom de l’idéologie, il se trouve projeté au coeur d’un débat superfétatoire sur la nature du régime, ce qui constitue le noeud même par lequel le peuple vénézuélien est ligoté. D’autre part, au niveau géopolitique, il surgit dans le concert international comme un symptôme supplémentaire d’un XXIe siècle totalement déboussolé.
Depuis que, le mercredi 23 janvier, le président du Parlement, Juan Guaido (voir page 62), s’est autoproclamé président par intérim, les partisans du régime de Maduro s’époumonent à entretenir une polémique artificielle. Ils dénoncent cette révolte légitime et ont le toupet de défendre la manière supposément démocratique avec laquelle Maduro s’est approprié le résultat des urnes, en 2018, par la multiplication des irrégularités et les achats de votes.
Derrière cette malhonnêteté, qui voudrait faire du régime vénézuélien un « désastre irréprochable », surgit un front partisan qui sonne comme un anachronisme. Jean-Luc Mélenchon, jamais en retard d’une outrance, résume ainsi la situation : « Une tentative de coup d’Etat en violation de tous les principes admis jusque-là dans le monde après une élection. » Ce à quoi la ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, a parfaitement répondu : « M. Mélenchon défend un régime qui tire à balles réelles sur son peuple, sur des manifestants courageux pacifiques… Il défend une dictature, l’absence de démocratie au Venezuela et après il vient parler d’insurrections et de violences policières en France. Il a l’esprit assez confus. » Emmanuel Macron, lui, a été très clair : « Après l’élection illégitime de Nicolas Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratie. »
Mais la discorde est bel et bien mondiale et, pour tout dire, fondamentale. Au sein de l’Union européenne, Paris, Berlin et Madrid appellent à la convocation rapide d’élections au Venezuela pour restaurer la souveraineté populaire et parvenir à une clarification. Mais c’est une voix presque inaudible tant la question vénézuélienne remet au goût du jour les fractures de la guerre froide. D’un côté, les Etats-Unis de Trump et le Canada, mais aussi une dizaine d’autres pays, sans oublier le Brésil et la Colombie, se sont empressés de reconnaître Juan Guaido comme président légitime. De l’autre, Moscou accuse carrément Washington de fomenter un coup d’Etat au Venezuela, position soutenue par la Chine, la Bolivie et le Nicaragua.
Le deuxième effet de cette crise est effectivement planétaire – dans un sens rétroactif. Le mode de gouvernement instauré par Hugo Chavez et prolongé par Nicolas Maduro s’appuie depuis des années sur le soutien très actif de Cuba, mais aussi sur celui de la Russie, deux pays qui apportent à la fois leur savoir-faire militaire, mais aussi leurs expertises économiques, dont chacun sait la valeur… Pour Vladimir Poutine, qui recherche de nouvelles extensions à partir de la sphère d’influence de l’ex-URSS, l’enjeu est décisif. Depuis une vingtaine d’années, les sociétés russes ont déversé près de deux dizaines de milliards de dollars sous forme d’investissements et de crédits, avec une insistance particulière sur l’économie du pétrole. Quant à la Chine, en dehors de toute préoccupation idéologique, elle cherche à accroître son implantation commerciale partout où les intérêts américains ont reculé.
Certes, il n’y a ni fusées ni baie des Cochons dans le cas vénézuélien, mais par bribes ce monde est encore orphelin des deux blocs d’hier, qui paraissent par ailleurs complètement révolus.
La question remet au goût du jour les fractures de la guerre froide