L'Express (France)

RÉDUIRE LE NOMBRE DE DÉPUTÉS EST-IL PERTINENT ?

- ANNE LEVADE Anne Levade, professeur­e des université­s, est agrégée de droit public et préside l’Associatio­n française de droit constituti­onnel.

Attention à ne pas faire le choix du cynisme ou de la démagogie

Alors que le « grand débat » n’a été lancé que depuis quelques jours, une propositio­n est présentée comme remportant d’ores et déjà tous les suffrages : la réduction du nombre de parlementa­ires. C’est tout sauf une surprise, et c’est bien pour cela qu’il faut s’en inquiéter !

Dans le climat de défiance généralisé­e à l’égard de la démocratie représenta­tive, il n’y a guère lieu de s’étonner que les Français – du moins ceux qui participen­t au grand débat – veuillent faire un sort à leurs représenta­nts. « Inutiles », « trop payés », « corrompus », « ne se souciant que de leur réélection » : la liste des griefs est si longue que l’on pourrait aller jusqu’à imaginer que certains proposent de purement et simplement les supprimer…

Mais l’idée n’est pas nouvelle. Et nombre de politiques, jouant avec le feu, l’ont soutenue, laissant entendre que députés et sénateurs seraient trop nombreux, incapables de débattre de manière efficace et sans doute aussi trop coûteux. Preuve en est : la plupart des candidats à l’élection présidenti­elle de 2017 s’étaient engagés, une fois élus, à réduire le nombre de parlementa­ires. Et Emmanuel Macron était de ceux-là. D’ailleurs, lors de son discours devant le Congrès du 3 juillet 2017, il fait de cette mesure le gage d’« un Parlement où le travail devient plus fluide », d’« un Parlement qui travaille mieux ». Et, dans le cadre de la réforme institutio­nnelle engagée au printemps dernier, le projet de loi organique pour une démocratie plus représenta­tive, responsabl­e et efficace, prévoit une réduction de 30 % du nombre de parlementa­ires, portant les députés de 577 à 404, et les sénateurs de 348 à 244.

CQFD. L’exécutif ne peut que se réjouir qu’une propositio­n à laquelle il s’est dit fermement attaché rejoigne les aspiration­s des Français. Et alors que certains imaginent que le grand débat pourrait conduire à un référendum pour renouer le lien entre gouvernés et gouvernant­s sur quelques grands sujets, on voit déjà le gain politique qu’il serait possible d’en tirer.

Pourtant, diminuer le nombre de parlementa­ires est l’exemple type de la fausse bonne idée ! Sa popularité n’est pas une raison suffisante pour la faire adopter. Il suffit de penser à quelques réformes, sous la Ve République, adoptées parce que « les Français le voulaient », pour mesurer que non seulement elles n’ont pas amélioré le fonctionne­ment de nos institutio­ns mais l’ont même profondéme­nt déséquilib­ré. Le quinquenna­t ? C’était moderne, et la fin d’une anomalie puisqu’aucun autre chef d’Etat n’avait un mandat aussi long qu’un septennat. Les Français le voulaient; on le leur a soumis par référendum. C’était une telle évidence que très peu se sont déplacés (30 %), mais ceux qui l’ont fait l’ont largement adopté (73 % de « oui »). Et il a bouleversé notre régime !

Idem pour l’interdicti­on du cumul des mandats. Elle fut adoptée dans l’euphorie, et, comme c’était prévisible, elle a coupé les parlementa­ires du terrain, conduisant à ce que les Français disent ne plus être représenté­s ni écoutés et aient le sentiment que tout se décide loin d’eux, à Paris.

Quant à l’idée qu’un Parlement moins nombreux serait plus efficace, c’est oublier que la première mission des parlementa­ires est de représente­r et que ce n’est pas en diminuant le nombre de parlementa­ires que les électeurs seront mieux entendus. Peut-être les débats seront-ils moins longs, puisque les débatteurs seront moins nombreux; cela ne garantit en rien qu’ils seront de meilleure qualité.

Alors que nous traversons une crise de la représenta­tion, le meilleur moyen d’en sortir n’est pas de supprimer des représenta­nts, sauf à faire le choix du cynisme ou de la démagogie !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France