ILLUSION DÉMOCRATIQUE ET CYNISME CAPITALISTE
Qui aurait cru qu’on pourrait un jour recommencer les erreurs de 1929 et celles de 2007? C’est pourtant bien ce qui est en train d’arriver. En 2007, des banquiers américains peu scrupuleux avaient convaincu des salariés pauvres et mal informés qu’il n’était pas nécessaire de demander des augmentations, puisqu’il suffisait d’emprunter beaucoup pour acheter une maison et de gagner ainsi de quoi rembourser le prêt, et plus encore, grâce à la plus-value – certaine, disaient-ils – de cette propriété. On connaît la suite : ces prêts, dits subprimes, ont été regroupés, découpés, titrisés sous le nom de CDO (collateralized debt obligation) et revendus au système financier mondial, qui mit plusieurs années à comprendre que la plus-value immobilière ne viendrait pas, et que tout cela ne ferait que la fortune des prêteurs et la ruine des emprunteurs.
Aujourd’hui, tout recommence à l’identique. Sinon que ce ne sont plus seulement les salariés pauvres qui s’endettent (cette fois-ci, pour acheter une automobile ou financer les études de leurs enfants), mais aussi les entreprises non cotées américaines : celles-ci empruntent, pour couvrir leurs pertes et en espérant des rentabilités folles, un argent qu’elles ne pourraient rembourser que si leur valeur augmentait bien au-delà de ce qui est imaginable. Des banques et des institutions financières américaines leur consentent ces prêts, puis, sachant qu’ils sont fort risqués, s’en débarrassent en les découpant, en les titrisant et en les revendant au système financier mondial, cette fois sous le nom de CLO (collateralized loan obligation). Et, comme il y a dix ans, les agences de notation bénissent ces prêts qu’elles prétendent sans risque, ce qu’ils ne sont pas. Mêmes causes, mêmes effets ; une nouvelle crise nous attend.
Quelques chiffres : la moitié de ces prêts sont accordés avec des multiples supérieurs à 5 et avec des taux d’intérêt variables, ce qui les rend particulièrement dangereux. Le montant total de ces prêts était déjà de 1 300 milliards de dollars en septembre 2018 (dernière statistique disponible), soit le double de celui des subprimes au moment du déclenchement de la crise précédente. Plus de la moitié de ces prêts sont déjà titrisés et revendus dans le monde entier. 61 % sont de mauvaise qualité, contre seulement 55 % en 2007. La protection des prêteurs est bien moindre qu’il y a dix ans. Enfin, si le secteur bancaire est mieux contrôlé qu’à l’époque, il n’en va pas de même du « secteur bancaire fantôme », où tout se passe aujourd’hui.
On ne pourra donc éviter la catastrophe que si les banques centrales, comme la fois précédente mais sans doute plus massivement encore, rachètent toutes les dettes, qui viendront gonfler leurs bilans, préparant un effondrement total de la confiance dans le système financier planétaire.
Folie, cynisme, spéculation. Les vieilles recettes du pire sont là. Il serait aussi illusoire de croire qu’on pourrait s’en protéger en fermant les frontières que de penser qu’on pourrait échapper au réchauffement climatique en ne comptant que sur soi-même.
Pour régler ces problèmes, il faudrait que les chefs d’entreprise, comme leurs actionnaires et leurs banquiers, acceptent de ne pas rechercher une rentabilité folle et de se contenter de vivre au même rythme que les autres humains. On objectera que cette rentabilité est justifiée par l’ampleur des innovations qu’ils mettent en oeuvre. C’est faux : le profit n’est pas le moteur de l’innovation, il en est la conséquence.
Etrange moment où les citoyens les plus vulnérables demandent, à juste titre, qu’on traite leurs problèmes les plus immédiats et leurs soucis les plus locaux, alors que rien ne serait plus important, dans leur intérêt, que de s’occuper des enjeux du long terme et des risques planétaires. Ceux qui sauront concilier ces défis seront des hommes d’Etat. Ils manquent cruellement aujourd’hui.
Des banques consentent des prêts très risqués, puis les revendent