LA DÉMOCRATIE EN DANGER
Les nouvelles technologies mettent nos sociétés à rude épreuve. Dans L’IA va-t-elle aussi tuer la démocratie ?, qui paraît aujourd’hui aux éditions JC Lattès* et dont L’Express publie des extraits en exclusivité, Laurent Alexandre et Jean-François Copé posent un diagnostic et cherchent la parade face aux géants du numérique.
Adéfaut de s’entendre sur le point final, ces deuxlà ont un point commun. Laurent Alexandre et Jean-François Copé sont énarques. Mais leurs trajectoires – entrepreneuriale et scientifique pour l’un et politique pour l’autre – font qu’ils auraient pu ne jamais se rencontrer. Ce fut le cas, pourtant, en avril 2015. Depuis, ils n’ont cessé d’échanger et de s’opposer jusqu’à ce que naisse l’idée d’un livre en commun. Pour le futurologue Laurent Alexandre, le développement vertigineux de l’intelligence artificielle (IA) menace aujourd’hui la démocratie. Sans concession, il dénonce la « nullité technologique » de nos politiciens. Jean-François Copé, ancien président de l’UMP et maire (LR) de Meaux, lui répond en exposant un concept européen d’« IA nation ». D’un côté, le constat alarmiste, voire provocateur, du lanceur d’alerte ; de l’autre, les propositions de l’élu refusant de regarder « passer le train de l’IA ». Un échange jubilatoire. Bruno D. Cot La révolution actuelle n’est pas une révolution de plus. Elle est d’un nouveau type. Les progrès technologiques avaient jusqu’à présent permis des sauts de puissance. Il en va tout autrement des NBIC [NDLR : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognitique, regroupant l’intelligence artificielle, la robotique et les neurosciences], qui font basculer le monde vers de vertigineux infinis, ceux de la miniaturisation, de la puissance de calcul et de la capacité de transformation du vivant. La nouvelle révolution n’est pas une porte sur un nouveau monde. Elle génère de multiples chocs éthiques, philosophiques et spirituels qui font trembler les dynamiques politiques. Nous assistons à un événement neuf, sans aucune comparaison avec ce que nous avons connu jusqu’à présent. C’est cette différence par rapport à tous les autres cycles d’innovation technologique qui menace la démocratie.
LES SEPT RUPTURES CAPITALES
L’IA crée des monopoles difficiles à réguler en lieu et place de géants industriels qu’il suffisait de couper en morceaux. Les IA de 2018 s’éduquent à partir de gigantesques bases de données, ce qui donne un immense pouvoir aux Gafa américains et BATX chinois, qui en sont les détenteurs. L’addiction produite par l’IA est la deuxième rupture. Comme elle a besoin de beaucoup de données pour apprendre, les géants du numérique rendent leurs applicatifs addictifs, ce qui leur permet de récupérer les montagnes d’informations nécessaires. Troisième rupture : l’IA permet la société de surveillance et s’en nourrit puisqu’elle lui apporte énormément de données. Le monde ultra-complexe mi-réel, mivirtuel créé par l’IA exige des médiateurs humains extrêmement doués. Cette quatrième rupture entraîne une explosion des inégalités. A terme, l’IA favorise l’émergence de régimes censitaires. Le monde de l’IA n’est lisible que par les humains ayant une forte intelligence conceptuelle. Réguler le big data exige des experts multidisciplinaires, maniant à la fois l’informatique, le droit, les neurosciences… Les gens capables de gérer cette complexité politico-technologique deviennent la nouvelle aristocratie entre les mains de laquelle les politiciens technophobes pourraient devenir de simples pantins. Sixième rupture :
La charge de Laurent Alexandre UNE RÉVOLUTION INÉDITE
comme l’IA ne comprend rien, n’a aucun bon sens ni esprit critique, nous créons un monde « IA friendly » pour lui faciliter les choses, ce qui accélère la fusion du réel et du digital. Septième et dernière rupture : la correction des biais de l’IA devient une part majeure de l’activité humaine.
LES GAFA ENTRENT EN POLITIQUE
Mark Zuckerberg a démenti vouloir se présenter à la présidentielle américaine. En réalité, Mark Zuckerberg vise plus haut que la présidence des Etats-Unis. Ses ambitions sont messianiques : il veut être le grand prêtre de communautés numériques agissantes unissant les citoyens à travers le monde. Son allocution à Harvard, le 25 mai 2017, était un vrai discours politique, un plaidoyer pour une gouvernance mondiale et l’institution d’un revenu universel pour aider les citoyens à surmonter le choc de l’intelligence artificielle. Il avait déclaré : « C’est le grand combat de notre époque. Les forces de la liberté, de l’ouverture et des communautés globales contre les forces de l’autoritarisme, de l’isolationnisme et du nationalisme. Ce n’est pas une bataille entre nations, c’est une bataille d’idées. » Le 22 juin 2017, il avait comparé Facebook à une Eglise.
Dans le même sens, Larry Page, président de Google Alphabet, expliquait au Financial Times que les entreprises comme la sienne ont vocation à prendre la relève des dirigeants politiques puisqu’elles comprennent mieux le futur que les hommes politiques. Les Etats traditionnels sont clairement mis en concurrence, menacés d’ubérisation à leur tour.
UNE NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DOMINÉE PAR LA CHINE
La stratégie du président chinois est limpide : utiliser l’IA pour simultanément contrôler les citoyens et devenir la première puissance mondiale. La Chine est devenue un leader de la recherche et développement au niveau mondial et dépose désormais plus de brevets que les Etats-Unis. L’ambition impériale chinoise se structure autour d’une « nouvelle route de la soie » qui reliera l’Eurasie et l’Afrique, par des voies terrestres, maritimes et numériques, et permettra à la Chine d’étendre son modèle politique et économique. Aujourd’hui, l’ancien patron de Google [Eric Schmidt] est convaincu que les forces centrifuges d’Internet produiront deux morceaux : « Un Internet dirigé par les Chinois et un Internet non chinois dirigé par les EtatsUnis. » Cette partition de l’Internet
“La Chine utilise l’IA pour contrôler les citoyens et devenir la première puissance mondiale”
serait facilitée par les immenses progrès de la Chine en IA. Reprenant les déclarations du Parti communiste chinois, Eric Schmidt s’alarme : « D’ici à 2020, ils nous auront rattrapés, d’ici à 2025, ils seront meilleurs. Et, en 2030, ils domineront l’industrie de l’IA. »
ET L’EUROPE ?
Merveilleuse maman, bienveillante, maternante et douce, l’Europe n’a pas l’arme du moment : l’intelligence artificielle. Dans cette guerre d’un nouveau genre, notre continent n’est pas loin d’un décrochage définitif. Ne nous y trompons pas : derrière l’échec de l’Europe sur l’IA, il y aura la vassalisation militaire. L’Europe sera un nain géopolitique, parce qu’elle devient un nain technologique. Sergey Brin [cofondateur de Google] a confessé en 2017 à Davos que l’IA progresse bien plus vite que tous les pronostics. L’industrialisation de l’intelligence artificielle va bouleverser l’organisation politique et sociale. Le décalage entre l’industrialisation de l’IA foudroyante et la démocratisation de l’intelligence biologique qui n’a pas commencé menace désormais la démocratie. [Or] nous nous raidissons dans une dramatique posture d’attentisme. L’économiste Nicolas Bouzou s’est emporté dans L’Express sur le suicide technologique de l’Europe en matière d’IA : « L’un de mes amis, tout juste revenu d’une année passée en Asie, me faisait remarquer que l’Europe semblait s’être spécialisée dans les analyses intellectuelles et la morale, comme en témoigne la prolifération de comités d’éthique sur le numérique, la robotique et l’intelligence artificielle. Voilà une spécialisation confortable, mais qui rend l’Europe plus ridicule que puissante. » L’Europe devient le Café de Flore du monde.
TRAVAIL : L’IA ET LES GILETS JAUNES
La conclusion des réflexions actuelles est que la destruction massive d’emplois n’est pas certaine mais que le risque d’une augmentation des inégalités est fort et que les mesures pour s’y opposer sont complexes à mettre en oeuvre si l’IA progresse vite. La plupart des économistes pensent que la singularité – le moment où les machines dépassent les cerveaux humains – est une perspective lointaine mais que les IA actuelles – dénuées de consciences artificielles – vont bouleverser les équilibres économiques. Et la révolte des gilets jaunes nous rappelle que le monde va trop vite pour beaucoup. Le géographe Christophe Guilluy décrit depuis des années les souffrances de la France périphérique. Il voit dans les gilets jaunes le signe d’une révolte de ce tiers pays qui n’intéresse pas les politiques. Il y a bien trois France : les gagnants de la nouvelle économie, calfeutrés dans les métropoles, les banlieues peuplées de communautés et la France périurbaine et rurale des « petits Blancs » qui se sont autobaptisés « gilets jaunes ». Emmanuel Macron doit son ascension aux gagnants du nouveau capitalisme cognitif ; c’est-à-dire l’économie de la connaissance, de l’IA et du big data. Les élites macronistes vivent un âge
d’or sans se préoccuper du sort des classes moyennes et populaires. Olivier Babeau s’emporte dans L’Opinion : « L’espace public est désormais saturé par des minorités aux mille revendications. Handicap, genre, ethnie, orientation sexuelle, choix alimentaire : ce sont les revendications particulières, assorties souvent d’une dimension victimaire qui en accentue la véhémence, qui accaparent les législateurs. L’Etat s’intéresse plus au devenir des “végans trans” que du pouvoir d’achat des “petits Blancs périurbains”. » En effet, l’IA transforme l’organisation sociale en favorisant les élites intellectuelles et en affaiblissant le peuple, mal préparé à la révolution technologique. Les écarts entre les gilets jaunes et la petite élite de l’IA sont un puissant moteur populiste.
DES DÉMOCRATIES GOUVERNÉES PAR L’IMPUISSANCE PUBLIQUE
Le décalage de rythme entre l’explosion technologique et la capacité d’évolution des institutions est un problème central de ce siècle. Dans le monde instable des NBIC, bouger un détail peut avoir des conséquences majeures. Une loi adoptée aujourd’hui dans le désordre des discussions parlementaires et des petits arrangements politiciens peut avoir des répercussions immenses sur le long terme. C’est l’effet papillon au carré, provoqué par la vitesse de diffusion des technologies et les effets de cliquet qu’elles provoquent. Occupés à éviter l’explosion sociale qui menace en permanence, nos élus ne voient pas qu’ils ont perdu en réalité les leviers du pouvoir. Le vrai pouvoir sera de plus en plus entre les mains des géants du numérique américains et asiatiques. Le code des plateformes numériques est la nouvelle loi, et nous ne faisons pas partie de ceux qui l’écrivent. Que pèsent nos lois sur les médias par rapport aux règles de filtrage établies par Google et Facebook, qui sont devenus les « châteaux d’eau médiatiques » du monde ? Que pèse le droit de la concurrence face à l’IA d’Amazon ? Que pèsera demain le Code de la santé publique face aux algorithmes de DeepMind Google, d’Amazon ou de Baidu, qui seront incontournables en IA médicale ? Les décisions majeures qui vont déterminer le destin de notre monde dans vingt ou cinquante ans se prennent dans les bureaux de la Silicon Valley et non sous les lambris dorés de l’Elysée. L’Etat sert aujourd’hui avant tout à assurer l’ordre public et à redistribuer pour compenser tant bien que mal le décrochage d’une partie de la population. Il n’indique pas de cap et ne décide pas l’avenir. Notre Etat doit faire sa révolution face au numérique. Il doit créer des régulations intelligentes et ouvertes qui soient autre chose que des lignes Maginot protégeant les acteurs historiques. Son fonctionnement et ses institutions sont à revoir. C’est un véritable « Vatican II » de l’Etat qu’il faut entreprendre. La nullité technologique des politiciens est devenue intenable. L’intelligence artificielle est aujourd’hui partie intégrante de nos vies. Tout le monde en parle. Tout le monde y voit une transformation majeure aux contours encore mal définis. Et, pour beaucoup, elle est anxiogène. Laurent Alexandre vous l’a dit : pour lui, les politiques sont impuissants, ils « occupent la scène mais ne font plus l’Histoire ». Eh bien, ça vous surprendra peut-être, mais je pense que Laurent Alexandre a raison. Il a raison de dire que, si rien ne bouge, si les responsables politiques français et européens continuent leur petit train-train en accouchant une fois de temps en temps de quelques mesurettes déjà dépassées avant d’être votées, nous allons nous faire manger tout cru. Il a raison de dire que, si nous n’arrivons pas à établir un minimum de rapport de force dans une stratégie de « faible au fort » avec les Chinois et les Américains, nous perdrons nos cerveaux, nos marchés et, pour finir, la bataille. Il a raison, enfin, de dire que, si les politiques ne fixent pas dès à présent l’objectif de faire de notre pays, la France, et de notre continent, l’Europe, une terre entièrement dédiée à entrer dans l’ère de l’intelligence artificielle, nos concitoyens mettront leurs dirigeants dehors et ainsi on pourra effectivement constater que l’IA aura aussi tué la démocratie.
LAURENT ALEXANDRE A RAISON, SAUF SI...
Sauf si nous changeons radicalement de méthode et d’état d’esprit ! Le passage à l’intelligence artificielle doit être le
La réponse de Jean-François Copé UN CONSTAT PARTAGÉ
combat politique des dix prochaines années. Les choses sont claires : l’IA entraîne une transformation complète de la vie humaine dans la totalité de ses aspects. D’abord, parce qu’elle va entraîner une rupture profonde dans notre mode de vie. Apprendre à une machine à jouer au jeu de go n’est que la partie émergée de l’iceberg et peut sembler anecdotique. L’objectif est ailleurs : exploiter la puissance de la machine pour faire de manière accélérée et avec une plus grande fiabilité ce qui demande au cerveau humain du temps et un effort d’analyse. Profondément disruptive ensuite car profondément perturbante, l’IA nous impose de changer notre manière de penser le monde. Voilà pourquoi les politiques ont l’obligation de s’y intéresser. Et notre objectif commun doit être clair : construire l’« IA nation » à échéance de dix ans. [Afin] que chacun, en 2030 en France, sache et comprenne ce qu’elle est, puisse l’utiliser et en retirer des bénéfices. L’IA doit devenir une priorité absolue. Affichée et assumée, urbi et orbi, par tous ceux chargés des choix politiques et stratégiques de notre pays.
COMMENT CRÉER UNE « IA NATION »
Cessons de nous morfondre sur le fait que nous aurions un train de retard. C’est la mauvaise excuse pour ne rien faire. D’abord, il faut se détendre avec l’idée du retard : on peut toujours prendre le train en marche à condition de s’en donner les moyens. Beaucoup a été fait sans nous. Dont acte! On ne réinventera pas l’IA! Elle est opérationnelle, tant mieux ! Oui, l’Europe a jusqu’à présent été trop lente et pas assez unie. Mais les choses sont en train de changer. Il y a une prise de conscience et, surtout, la bataille n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer! Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle. Comme Churchill, Roosevelt et Staline réunis en février 1945 pour évoquer le nouvel ordre du monde sur les ruines de l’hitlérisme, l’Europe, les Etats-Unis et la Chine ont aujourd’hui des positionnements et des intérêts différents, voire divergents, sur l’IA. Parce que l’IA va contribuer à instaurer un nouvel ordre mondial, nous avons intérêt à élaborer une stratégie commune clairement identifiée, dans laquelle personne n’apparaîtra perdant, mais qui permettra de poser des garanties. Nous devons, de manière pragmatique, participer à l’élaboration du cadre dans lequel vivront les générations futures. Construire l’IA nation, c’est développer une stratégie et fixer un tempo. En 1962, Kennedy annonçait, dans un discours célèbre, que les Etats-Unis avaient « choisi d’aller sur la Lune ». Choisissons d’aller vers l’IA. On peut reprendre ses arguments mot pour mot : choisissons d’aller vers l’IA « au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile ».
“L’IA doit devenir une priorité absolue, assumée par tous ceux chargés des choix politiques”
LE RÔLE DES GOUVERNANTS
Cependant, à la différence de la conquête de l’espace, tout ne sera pas fait par les Etats car des acteurs existent déjà (les fournisseurs d’accès, les Gafam, les BATX). Le rôle des gouvernants n’est donc pas de créer la Nasa de l’IA, mais de réguler, promouvoir et protéger pour que, dans dix ans, nous ayons atteint l’objectif. Réguler, c’est indispensable face à une innovation de grande ampleur qui va changer le monde. Comme le Code de la route, nous devons imaginer un cadre juridique unique dans lequel l’IA se développera. En revanche, il y a quelques grands principes sur lesquels on doit s’accorder : la neutralité du Net, la protection des données et leurs conditions de stockage et d’utilisation. Ça ne se fera pas tout seul mais il faut se mettre d’accord aux niveaux national et européen puisque, par nature, l’IA repose sur des flux de données qui ne connaissent pas de frontières. L’IA nation est à ce prix : une régulation qui garantisse l’égalité d’accès tout en favorisant les Européens. Ensuite, il faut promouvoir l’IA. Cela passe par des outils, notamment d’attractivité fiscale, par l’exemple donné en faisant entrer l’IA dans les services publics mais, plus généralement, par la mise en place de politiques publiques qui favorisent son développement. Il ne s’agit pas d’interdire bêtement mais de définir des règles pour – et avec – les opérateurs et d’éduquer les utilisateurs. L’éducation et la formation sont indispensables pour que nous soyons tous des « utilisateurs éclairés » et « responsables ». Bref, l’IA nation, c’est l’occasion de faire de la disruption une stratégie. […]. [Enfin], l’Europe doit commencer par se protéger des géants des autres continents. Evidemment, il ne s’agit pas de mettre en place un protectionnisme européen qui, in fine, se retournerait contre les consommateurs. En revanche, construire un bouclier, c’est créer les conditions permettant de favoriser les acteurs européens tout en protégeant les utilisateurs. Comment fait-on? On commence par ce que l’on promet depuis des années sans le faire : des réformes fiscales pour rééquilibrer le jeu. Par exemple, arrêter de taxer les bénéfices réinvestis en recherche-développement. Autre réforme : se mettre enfin d’accord à l’échelle de l’Europe pour taxer les géants du commerce électronique sur le chiffre d’affaires qu’ils réalisent chez nous au lieu de les laisser faire de l’optimisation fiscale. Voilà pour le bouclier. Occupons-nous maintenant des fers de lance.
GÉANTS DES TÉLÉCOMS CONTRE GÉANTS DU NUMÉRIQUE
Plutôt que vouloir créer un Google, un Amazon ou un Alibaba européen, menons le combat avec les géants que nous avons : les opérateurs de télécoms. Eux seuls peuvent résister aux Gafam et aux BATX et leur position est d’ores et déjà stratégique. Ils sont fournisseurs d’accès, donc parmi les rares acteurs structurellement en amont des fournisseurs de services. Ils assurent la connectivité sans laquelle les sites Internet ne peuvent pas fonctionner. Mais, pour l’instant, ces géants sont paralysés par la structuration du marché. Rendez-vous compte : 105 opérateurs de télécoms en Europe. Si on veut que ces géants existent, il faut restructurer. Je vais mettre les pieds dans le plat : il faut imposer la consolidation des opérateurs de télécoms. Devenus des acteurs puissants, les opérateurs de télécoms pourront participer activement à la construction d’une Europe de l’IA. Deux exemples pour l’illustrer. D’abord, ils pourraient développer, au niveau européen, un service de protection et de filtrage des données […]. [Ensuite], puisque les données sont le carburant de l’IA, on pourrait en même temps en ouvrir l’accès en mettant à la disposition des chercheurs et des entreprises européennes l’intégralité des données publiques disponibles dans l’Union d’ici à 2020. Ça permettra à l’IA européenne de progresser. L’Europe est le plus gros marché du monde, il n’y a pas de raison qu’elle se laisse à nouveau engloutir par les Gafam. Nous avons une solution radicale : interdisons les paiements mobiles contrôlés par des entreprises non européennes. Les Gafam vont hurler mais les consommateurs ne seront pas pénalisés puisqu’ils n’utilisent pas ce moyen. En revanche, mettons la pression sur les opérateurs européens pour qu’ils développent un service bancaire performant sur mobile. L’intelligence artificielle va-t-elle aussi tuer la démocratie ? JC Lattès, coll. Coup de sang. 150 p., 18 €. Les intertitres sont de la rédaction.