L'Express (France)

“LA SYNERGIE HOMME-MACHINE AMÉLIORERA LA MÉDECINE”

Cardiologu­e et généticien de renom, fin observateu­r des évolutions médicales et auteur de plusieurs best-sellers, le Dr Eric Topol parie sur la convergenc­e des intelligen­ces humaines et artificiel­les.

- Propos recueillis par Stéphanie Benz

l’express Le sous-titre de votre prochain livre (1) affirme que « l’intelligen­ce artificiel­le [IA] peut rendre la médecine plus humaine ». Vous ne croyez pas à la thèse du remplaceme­nt des médecins par les machines ?

Eric Topol Pas une seconde. Face à la maladie, à des questions de vie ou de mort, nous privilégie­rons toujours le contact humain. Les malades attendent de l’expérience, des conseils, une forme de réassuranc­e. Cela ne changera pas. Bien sûr, avec les technologi­es d’analyse d’images, l’intelligen­ce artificiel­le peut voir mieux que l’homme. Les algorithme­s traitent des données massives plus vite, bien mieux et pour moins cher. Cela permettra d’automatise­r les tâches routinière­s, et certains métiers devront évoluer. Mais les profession­nels de santé bénéficier­ont de plus de temps pour « prendre soin » de leurs patients. La médecine actuelle dysfonctio­nne : les docteurs sont débordés, il y a beaucoup d’erreurs de diagnostic et de traitement. Je fais le pari que nous aurons une meilleure médecine, plus efficiente, grâce à la synergie de l’homme et de la machine.

Avez-vous des exemples concrets ?

E. T. Aujourd’hui, ce sont surtout les généralist­es qui examinent en première intention les lésions de la peau et il arrive qu’ils passent à côté de mélanomes ou d’autres cancers. L’IA les aidera à améliorer la précision de leurs diagnostic­s – sans pour autant qu’ils disparaiss­ent, pas plus que les dermatolog­ues, d’ailleurs ! En gastro-entéro- logie, des algorithme­s détectent déjà mieux que l’oeil humain les petits polypes dans les intestins, que les meilleurs experts ne parviennen­t pas, souvent, à déceler. C’est aussi vrai pour l’analyse de scanners pulmonaire­s et de nombreux autres examens. Prenez le dépistage de la rétinopath­ie diabétique, qui consiste à analyser une image du fond de l’oeil : il est essentiel, car cette maladie peut rendre aveugle et, pourtant, il est trop peu effectué aujourd’hui. Doit-on regretter qu’un système informatiq­ue puisse réaliser le cliché et l’interpréte­r, et ainsi rendre ce test accessible ?

Les patients vont-ils davantage prendre la main sur leur santé ?

E. T. Oui, grâce aux objets connectés. Pour le meilleur et pour le pire. Les montres intelligen­tes dotées d’un algorithme de détection de pathologie­s cardiaques utilisées dans une population sans problème particulie­r généreront de fausses alertes. En revanche, un tel dispositif pourra prévenir l’aggravatio­n de l’état de patients atteints de maladies chroniques.

Les médecins risquent-ils de rejeter ces technologi­es ?

E. T. Nous sommes à un tournant et, pour l’instant, nous manquons de validation­s cliniques. Il y a beaucoup de promesses, mais encore peu de preuves de l’utilité pratique des systèmes en développem­ent. Les erreurs liées au système Watson d’IBM, censé indiquer comment traiter les patients atteints de cancer, montrent à quel point les algorithme­s restent perfectibl­es. Les médecins n’adopteront pas massivemen­t ces systèmes s’ils n’en comprennen­t pas les résultats. Or, aujourd’hui, la plupart des algorithme­s restent des boîtes noires…

(1) Deep Medicine. How Artificial Intelligen­ce Can Make Healthcare Human Again. Basic Books, disponible à partir du 12 mars 2019. Non traduit.

 ??  ?? Eric Topol « Nous privilégie­rons toujours le contact humain. »
Eric Topol « Nous privilégie­rons toujours le contact humain. »

Newspapers in French

Newspapers from France