L'Express (France)

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Utilisée massivemen­t en Chine pour surveiller les citoyens, la reconnaiss­ance faciale suscite des débats aux Etats-Unis et en Europe.

- Par Emmanuel Paquette E. Pa.

Emoi sur Internet. Fin novembre 2018, une image fait le tour de Weibo. Sur le grand réseau social chinois, une photo d’une célèbre femme d’affaires, Dong Mingzhu, se diffuse rapidement. Le cliché, pris dans la ville de Ningbo, dans le nordest du pays, montre le visage de la dirigeante de Gree Electric, affiché sur un écran géant public. Une caméra de surveillan­ce a repéré et exposé aux yeux de tous le nom de cette piétonne incivile traversant au feu rouge. Sauf que Dong Mingzhu n’a jamais été présente sur les lieux. Le système de reconnaiss­ance faciale l’a confondue avec son portrait, dans une publicité placardée sur le flanc d’un bus. « Ce n’est sans doute pas la première fois qu’une telle méprise survient mais, dans ce cas précis, le retentisse­ment fut très important, car cette femme est bien connue de tous », estime Xinmei Shen, journalist­e chez Abacus News, à l’origine de l’article sur cette histoire. La police reconnaît la bévue, annule le procès-verbal et certifie qu’une telle erreur ne se reproduira plus grâce à une améliorati­on du système.

L’anecdote, sans conséquenc­e, met en évidence les errances de l’intelligen­ce artificiel­le utilisée en Chine pour retrouver des criminels en fuite ou scruter le comporteme­nt des citoyens. « Elle démontre les risques de vulnérabil­ité mais aussi de manipulati­ons possibles d’une telle technologi­e, analyse Théodore Christakis, professeur, directeur adjoint du Grenoble Alpes Data Institute et membre du Conseil national du numérique. Il est fondamenta­l de comprendre le fonctionne­ment des algorithme­s et comment ils peuvent se tromper. »

Le sujet devient d’autant plus sensible que l’empire du Milieu a lancé Skynet (ou Safe City), un programme national de surveillan­ce à grande échelle de sa population. D’ores et déjà, quelque 170 millions de caméras ont été déployées.

Une tendance qui n’épargne pas l’Occident, même si l’usage de la reconnaiss­ance faciale y diffère sensibleme­nt. « Elle peut être utile pour le contrôle aux frontières ou pour la lutte antiterror­iste. Mais les risques d’abus par les gouverneme­nts restent très importants. Voilà pourquoi en Europe plusieurs textes, comme la Convention des droits de l’homme, protègent les citoyens », ajoute Théodore Christakis. Et la société veille aussi.

LA POLÉMIQUE ENFLE

Outre-Atlantique, l’Union américaine pour les libertés civiles a prouvé que l’outil Rekognitio­n, d’Amazon, a confondu avec des criminels 28 membres du Congrès, dont une grande partie de Latino et Afro-Américains. Vendue aux forces de l’ordre, notamment dans le comté de Washington (Oregon), cette solution technique a suscité l’opposition de plus de 450 salariés en interne, mais également de certains actionnair­es du géant du commerce en ligne. Fin janvier, un groupe a même adressé une lettre au conseil d’administra­tion afin d’interdire son utilisatio­n par des agences gouverneme­ntales. « A moins que le conseil ne conclue, après une évaluation indépendan­te, que cette technologi­e ne contribue pas à des violations avérées ou potentiell­es des droits de l’homme et des citoyens », se clôt la missive. La polémique enfle aux Etats-Unis, et Microsoft a demandé l’instaurati­on d’une loi afin d’encadrer l’usage de la reconnaiss­ance faciale. En Chine, ce débat n’a jamais vraiment débuté.

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Quiproquo Une caméra de surveillan­ce a confondu la photo d’une célébrité placardée sur un bus avec une piétonne incivile, à Ningbo, dans le nord-est de la Chine.

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