La Ligue du Midi, un groupuscule inquiétant
Dans le Sud, cette association d’extrême droite tente de se fondre dans le mouvement des gilets jaunes. A sa tête, un clan qui collectionne les condamnations judiciaires. Enquête.
Béret noir vissé sur les têtes, gestes agressifs comme s’ils voulaient en découdre, insultes hurlées avec un accent du Sud rocailleux. « Enfoirés! Parasites! » Depuis des années, à chaque rassemblement, à chaque opération coup de poing, les membres de la Ligue du Midi adoptent la même attitude. Ces derniers mois, un seul détail a changé : désormais, ces militants d’extrême droite portent le gilet jaune et réclament « la destitution du gang de Macron ». Mais leur obsession reste identique : la lutte contre ce qu’ils appellent « l’invasion ».
Implanté dans la région de Montpellier (Hérault), ce mouvement « identitaire » s’est fondu dans la masse fluo sur les ronds-points, lors des blocages d’autoroute ou des défilés de motards en Occitanie. Loin de Paris, contrairement à d’autres groupes ultras (Action française, Civitas, l’OEuvre française…), essentiellement parisiens, et plutôt discrètement. Un porte-parole local des gilets jaunes l’assure à L’Express : « On leur a dit de n’être présents qu’à titre individuel et de ne pas créer de problèmes. »
Des « problèmes » avec la Ligue, il y en a régulièrement. A la tête de l’association, créée en 2011, on trouve Richard Roudier, 72 ans, dont le parcours a épousé un pan de l’extrême droite française, et ses fils, Olivier et Martial. Originaire de Béziers (Hérault), le patriarche, moustache blanche de Gaulois et voix éraillée, est un enfant du poujadisme – donc plus prompt à déplorer le nombre, écrasant, selon lui, de fonctionnaires à l’Assemblée nationale que la raréfaction des services publics. Depuis sa jeunesse, il creuse le sillon régionaliste et a changé plusieurs fois d’alliés, en se tenant longtemps à distance du Front national et de la sphère antisémite – il juge l’antisémitisme « contre-productif » (sic) – pour lui préférer les cercles identitaires virulents envers l’islam, comme Riposte laïque, ou la figure du milieu skinhead Serge Ayoub. Il fraie à présent aux côtés des Brigandes, une étrange communauté retranchée dans la même région, à La Salvetat-surAgout, connue pour diffuser des chansons anti-immigration sur Internet (Foutez le camp! a totalisé plus de 1 million de vues sur YouTube).
Ce n’est pas leur tentative de greffe sur le mouvement des gilets jaunes qui les place dans l’actualité aujourd’hui mais leurs démêlés avec la justice. Si la Ligue du Midi n’a jamais été condamnée en tant que personne morale, la famille Roudier aligne les mentions au casier judiciaire. « Le père sait où s’arrêter, à quelques dérapages près. Mais pas ses fils », souffle un élu du Gard, où les Roudier géraient des chambres d’hôte avant que le paternel ne prenne sa retraite.
L’aîné, Olivier Roudier, 44 ans, agriculteur, est passé devant les tribunaux pour violence avec arme, port d’arme, provocation à la haine… En 2017, année de sa dernière condamnation, avec une quinzaine de militants de la Ligue du Midi, il s’introduit dans les locaux d’une association, Raih, accueillant des mineurs isolés étran-
gers. Aux cris de : « Pas de subventions pour financer l’invasion », l’équipée saccage les lieux. Seul Olivier a été condamné, à un mois de prison ferme, pour dégradation – il a fait appel de cette décision. L’association Raih avait porté plainte pour provocation à la haine raciale, mais le parquet a choisi de ne pas poursuivre.
UNE RIXE AU COUTEAU
Le benjamin, Martial Roudier, 39 ans, rédacteur pour un site de « ré-information » local, a purgé quatorze mois de prison après une rixe au couteau, en 2008, avec plusieurs skinheads d’extrême gauche lors des férias de Nîmes. Il est à nouveau dans le viseur de la justice pour des violences commises à la fac de droit de Montpellier, en mars 2018. Une affaire qui a fait du bruit : après plusieurs semaines de blocage par des étudiants opposés à la loi Vidal, sur l’orientation et l’accès à l’université, une dizaine de personnes encagoulées s’étaient introduites dans un amphithéâtre pour en déloger les occupants à coups de planches de bois. Huit personnes avaient porté plainte. Mis en examen, Martial Roudier conteste son implication : « Je n’étais pas loin, mais je n’y étais pas », nous répond-il. Son frère, Olivier, ne condamne pas l’opération : « C’est toujours plaisant de voir des gens locaux prendre la situation en main. »
Au vu des images captées lors de ces incidents, l’épisode relevait davantage de l’intimidation que du lynchage. Mais il interroge sur les liens entre le groupe d’ultras et des personnalités moins à la marge. Parmi les sept suspects mis en examen, essentiellement des gros bras d’extrême droite, figurent en effet le doyen de la fac et un professeur soupçonné d’avoir organisé l’intrusion du commando. Si les investigations sont toujours en cours, Paul Alliès, doyen honoraire de la fac et proche du Parti socialiste, a déjà tiré ses conclusions : « Comme ils sont un peu folkloriques, les militants de la Ligue du Midi sont parfois tournés en dérision, analyse-t-il. Mais il faut les prendre au sérieux : pour moi, ils sont les bras armés de notables chics. » Une source proche du dossier évoque une « opération improvisée par des nostalgiques d’un temps révolu ».
Cet activisme a en tout cas fini par alerter des élus, en particulier Muriel Ressiguier, députée (LFI) de l’Hérault. Elle préside la commission d’enquête parlementaire, composée le 23 janvier, chargée de dresser « un état des lieux sur l’ampleur du caractère délictuel et criminel des pratiques des groupuscules d’extrême droite ». « L’ultradroite agit de plus en plus à visage découvert, dénonce la députée. Je pense au commando qui a sévi à Montpellier, mais aussi à Génération identitaire, qui a bloqué la route de migrants dans les Alpes l’année dernière. » Son objectif est clair : « Aller jusqu’à la dissolution de ces groupes. » Le rapport de la commission est attendu pour le 11 juin prochain. Des membres de l’ultradroite, leurs opposants et un représentant de la Direction générale de la sécurité intérieure pourraient être auditionnés.
Combien de militants à la Ligue du Midi? Difficile à dire – Richard Roudier en revendique « entre 500 et 1000 », plusieurs témoins de leurs opérations n’ont compté que 50 personnes. Leur page Facebook, en forte progression l’année dernière, rassemble 12000 abonnés. Suffisant pour faire le buzz et occasionnellement… le coup de poing.