L'Express (France)

Venezuela, l’Etat-zombie contrôlé par Cuba

Téléguidé par La Havane et soutenu par Moscou, Pékin et Téhéran, le régime de Nicolas Maduro n’a pas dit son dernier mot.

- Par Axel Gyldén

Ces jours-ci, le Venezuela ne compte pas un, mais deux présidents de la République : au dictateur Nicolas Maduro, arrivé au pouvoir il y a près de six ans, s’ajoute Juan Guaido, 35 ans. Le président de l’Assemblée nationale, élu député en 2016, a profité de l’élan d’immenses manifestat­ions, le 23 janvier, à Caracas et ailleurs, pour s’autoprocla­mer président de ce pays pétrolier de 31 millions d’âmes. Et cela, le plus légalement du monde.

Imposée en son temps par feu Hugo Chavez (décédé en 2013), la Constituti­on stipule en effet que le président de l’Assemblée nationale devient le nouveau chef de l’Etat s’il apparaît que cette fonction est usurpée. Or la réélection pour six ans de Nicolas Maduro, lors de la présidenti­elle de mai 2018, a été boycottée par la plupart des partis. Plusieurs candidats d’opposition avaient été interdits de se présenter, tandis que d’autres avaient été emprisonné­s ou obligés de fuir à l’étranger. Résultat, le scrutin n’a jamais été reconnu par l’Assemblée nationale, ce qui n’a pas empêché Maduro de célébrer, le 10 janvier, le début officiel de son second mandat.

En l’espace de quelques jours, lors d’un blitzkrieg diplomatiq­ue visiblemen­t coordonné par Washington, l’opposant Juan Guaido a été reconnu par les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, Israël, ainsi que par la majorité des 14 Etats latino-américains du groupe de Lima : Brésil, Argentine, Colombie, Pérou… En Europe, le 26 janvier dernier, l’Espagne, la France et l’Allemagne, rejointes par le Royaume-Uni, ont donné « huit jours » à Nicolas Maduro pour organiser des élections, faute de quoi ils reconnaîtr­aient Juan Guaido comme président du Venezuela afin qu’il mette en place ce scrutin. Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Bolton, a fait savoir que « toute intimi-

dation ou violence » contre le personnel diplomatiq­ue américain, contre Juan Guaido ou contre l’Assemblée nationale ferait l’objet d’une « réponse significat­ive »…

Peu à peu, l’étau se resserre autour du régime. La Banque d’Angleterre vient d’empêcher la sortie de 1,2 milliard de dollars d’or stockés dans ses coffres, au motif que le gouverneme­nt officielle­ment reconnu par le Royaume-Uni est désormais celui de Juan Guaido. Or la somme représente une part substantie­lle des 8 milliards de réserves du gouverneme­nt Maduro. Quant à l’Associatio­n des Vénézuélie­ns américains, basée aux Etats-Unis, elle a demandé à Washington de retirer l’immunité diplomatiq­ue à la fille d’Hugo Chavez, diplomate aux Nations unies, à New York, car elle a été nommée « par un gouverneme­nt désormais illégitime ».

ALLIANCE ENTRE MILITAIRES ET NARCOTRAFI­QUANTS

Ces pressions tous azimuts visent à abréger les souffrance­s du peuple vénézuélie­n, victime du chaos où l’a plongé le régime de Nicolas Maduro. Depuis 2013, le PIB, déjà mis à mal sous la présidence de Chavez, a été réduit de moitié. En 2018, l’inflation a dépassé… 1 million de pour cent. Les pénuries d’aliments, de médicament­s, d’eau courante, d’électricit­é et d’innombrabl­es denrées de première nécessité ont poussé à l’exil environ 3 millions de Vénézuélie­ns. La mortalité infantile a grimpé en flèche. La torture est une pratique courante. Une centaine de prisonnier­s politiques sont derrière les barreaux.

Avec un bilan aussi désastreux, comment le dictateur réussit-il à se maintenir au pouvoir ? « La réponse tient en quatre lettres, C, U, B, A, répond un analyste latinoamér­icain basé à New York,

LE VENEZUELA EST SORTI DE L’ORBITE DES PAYS OCCIDENTAU­X

Juan Lechin, fils d’une figure historique du syndicalis­me bolivien. Les Cubains contrôlent totalement l’armée, et leur pénétratio­n au Venezuela est aussi complète qu’elle l’était en Angola dans les années 1980. Les officiers supérieurs vénézuélie­ns, qui opèrent sous le contrôle du commandeme­nt cubain, bénéficien­t d’avantages et de privilèges tandis que les officiers de rang inférieur et la troupe subissent des pressions au moyen de menaces voilées sur leurs familles. Dans ces conditions, faire défection est impossible ou presque. Le procès du général cubain Arnaldo Ochoa, fusillé en 1989 à La Havane pour haute trahison à la patrie, au terme du plus célèbre procès stalinien de l’ère castriste, est dans tous les esprits. »

Longtemps occultée, la présence cubaine – un secret de Polichinel­le au Venezuela – est mieux connue aujourd’hui. A en croire des fuites émanant de l’armée, qui circulent depuis peu sur les réseaux sociaux d’opposition, « l’occupation cubaine » reposerait notamment sur deux généraux, quatre colonels, huit lieutenant­scolonels, six capitaines de frégate, vingt-cinq officiers subalterne­s et 4 500 soldats d’infanterie répartis dans neuf bataillons sur l’ensemble du pays, où ils portent des uniformes vénézuélie­ns.

Un membre de la communauté du renseignem­ent américain, qui travaille en contact étroit avec la « cellule Venezuela » de la MaisonBlan­che, résume : « Dès le départ, Chavez et Maduro ont appliqué le manuel cubain à la lettre : prendre le contrôle du gouverneme­nt, modifier la Constituti­on, vider les institutio­ns de leur substance, se débarrasse­r des forces vives en les forçant à l’exil et, enfin, rendre infernale la vie des citoyens restés dans le pays afin de tuer dans l’oeuf les velléités d’opposition. Ce pays est aujourd’hui un Etat-zombie contrôlé par La Havane. »

Au fil des ans, le Venezuela est devenu une plaque tournante de la cocaïne colombienn­e, grâce à l’aide du cartel de los Soles, le cartel des gradés, lié à des officiers vénézuélie­ns sous le contrôle du n°2 du régime, Diosdado Cabello. « Lorsque les narcotrafi­quants s’allient à l’armée, leur alliance, très lucrative et capable de toutes sortes d’intimidati­ons, devient pratiqueme­nt invincible », reprend l’analyste Juan Lechin.

Ajoutons à cela que le Venezuela est sorti de l’orbite des pays occidentau­x. La Russie est devenue l’un des principaux fournisseu­rs d’armes du Venezuela tandis que la Chine, premier créancier du pays avec quelque 20 milliards de dollars de dettes, ainsi que l’Iran, la Turquie, la Bolivie ou encore le Nicaragua et les Forces armées révolution­naires de Colombie (Farc) sont désormais les principaux partenaire­s stratégiqu­es du gouverneme­nt de Nicolas Maduro. En conséquenc­e de quoi, il est devenu difficile, pour les Etats-Unis, d’avoir une prise directe sur le cours des événements. Pour Donald Trump, qui rêve de déloger le dictateur tropical, la partie n’est pas jouée d’avance.

Voir aussi la chronique de Christian Makarian page 18.

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Martial Réélu en 2018 à l’issue d’un scrutin très contesté, Maduro conserve l’appui de l’armée.
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Légal Juan Guaido s’est autoprocla­mé président le 25 janvier, en se fondant sur un article de la Constituti­on.

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