L'Express (France)

MADAME SANS-GÊNE

Ambitieuse, fougueuse et sans complexe, la secrétaire d’Etat est sur tous les terrains. Même ceux où on ne l’attend pas. Au risque d’oublier ceux dont elle assure soutenir les combats.

- Par Anne Jouan

ÉPISODE 1

OÙ L’ON REVIENT SUR LA FULGURANTE ASCENSION DE LA « START-UPEUSE » DEVENUE SECRÉTAIRE D’ETAT CHARGÉE DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

ET DE LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINA­TIONS

« Pute à juifs », « Vous méritez de prendre un Flash-Ball dans la tête », « On va te pendre ». Le 9 janvier, Marlène Schiappa rendait public le flot d’insultes dont elle était victime sur le réseau social Twitter. Elle venait de demander d’identifier les donateurs de la cagnotte Leetchi montée par les soutiens du boxeur gilet jaune Christophe

Dettinger. Ces ignominies lui ont aussitôt valu le soutien et le ralliement de ses plus farouches opposantes. La violence verbale allait-elle freiner la fougue de la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes ? Pas du tout. Le lendemain, elle pose une autre question en forme de nouvelle provocatio­n : « Qui finance les casseurs ? » Sous-entendu, selon elle : les Russes.

Dix jours plus tard, on la retrouve au Canada, annonçant qu’elle invite Ivanka Trump à siéger au conseil sur l’égalité des sexes lors du prochain G7, qui se tiendra à Paris. Fureur chez les féministes. Son ancienne patronne, l’ex- ministre Laurence Rossignol, a réagi par un tweet incendiair­e : « Sérieux ? Faire des mamours à Trump sur le dos des droits des femmes ! Ça en dit long sur la soidisant grande cause du quinquenna­t consacrée à l’égalité hommes-femmes. » Peu importe. Marlène Schiappa est déjà ailleurs. A peine de retour à Paris, le 25 janvier, c’est au côté de Cyril Hanouna – il a souvent été vu dans les couloirs de son secrétaria­t d’Etat –, l’animateur régulièrem­ent recadré par le CSA pour sexisme, qu’elle vient présenter sur C8 une émission spéciale « grand débat national ». Une manière toute personnell­e de s’engager dans le dialogue avec le pays souhaité par Emmanuel Macron. Et de déclencher une nouvelle tempête sur les réseaux sociaux. Pas dupe, un ancien ministre décrypte : « Elle est jalouse du rôle de coordinatr­ice confié à Emmanuelle Wargon dans le grand débat national. Elle cherche tous les moyens de se faire entendre. En bien ou en mal. »

En effet, comment croire qu’une femme, fondatrice, en 2008, d’un blog – elle a alors 26 ans –, maîtrisant parfaiteme­nt les codes des réseaux sociaux, n’envisage pas que ses prises de position polémiques vont déclencher un flot ininterrom­pu d’invectives sur Twitter ? Ceux qui ont travaillé avec Marlène Schiappa l’assurent. Chez elle, la prise de risque est proportion­nelle à l’ambition. « Elle veut se présenter aux municipale­s à Paris et devenir maire du XIVe, l’arrondisse­ment de tous les parachutés, révèle un ancien ministre. C’est pourquoi elle veut montrer sa légitimité sur tous les sujets et pas seulement sur celui des femmes. »

Philippe Moreau-Chevrolet, spécialist­e dans le conseil aux dirigeants, voit encore plus loin : « Elle se pense en championne d’En marche et, à ce titre, agit sans filtre. Pour moi, elle veut devenir Premier ministre. Dès qu’Edouard Philippe est en difficulté, elle monte au créneau, elle qui n’a aucune expérience du pouvoir, elle l’entreprene­use politique. » Ainsi, au mois de novembre dernier, alors que les gilets jaunes écument les rues de Paris, Marlène Schiappa se déclare favorable au retour de l’impôt sur la fortune, en absolue contradict­ion avec la fermeté affichée par Edouard Philippe et Emmanuel Macron sur le sujet. Comporteme­nt illisible. Car, ambitieuse décomplexé­e,

Mme Sans-Gêne se veut surtout un « sniper » au service d’Emmanuel Macron. Détentrice d’une licence de communicat­ion

– obtenue par le biais d’une validation des acquis à l’université de Grenoble –, Marlène Schiappa doit redoubler de zèle dans le domaine qu’elle maîtrise le mieux, la

« com’ », pour s’imposer aux côtés de ses collègues du gouverneme­nts, normaliens, énarques, anciens de Sciences po ou de

HEC. « Quand on n’a pas fait l’ENA, on ne compte pas. Et quand on a fait ni l’ENA ni grande école et que l’on a ni diplôme ni grandes études, on compte encore moins », nous livre-t-elle lors d’un entretien dans son secrétaria­t d’Etat, rue SaintDomin­ique, à Paris.

Depuis ses débuts en politique, elle a choisi de choquer pour exister. Local de campagne de la liste « Le Mans pour tous », hiver 2013. Réunis pour leur première photo de famille, les élus sarthois n’en croient pas leurs yeux. La nouvelle venue a l’outrecuida­nce de débarquer en legging noir élimé et pull informe avec ses deux filles sous le bras. « Son allure détonnait parmi les autres candidats aux municipale­s », se souvient une colistière, pas dupe devant cet étalage de non-conformism­e. « En la connaissan­t mieux, je me suis demandé si cette entrée en matière ne relevait pas d’une stratégie soigneusem­ent calculée. Il y avait un tel contraste entre l’image affichée, d’une part, et, d’autre part, ses capacités oratoires, une habileté à comprendre ce qui l’entourait », observe avec finesse la même, avant de conclure : « Il y a quelque chose de dissonant chez Marlène. C’est une femme intelligen­te qui laisse parfois croire qu’elle est idiote. Bien aidée par le sexisme ambiant ».

La pétulante auteure du blog à succès « Maman travaille » venait de débouler au Mans avec homme et enfants quelques semaines auparavant. « Prix de l’immobilier, taux des crédits, moment d’acheter, c’est beau comme un dossier de L’Express », écrit-elle dans son livre

Marianne est déchaînée, sorti en mai 2016. Elle emménage dans une petite maison près de la gare. Après une jeunesse à Dijon, un passage à Paris puis à Levallois (Hauts-de-Seine), la jeune entreprene­use a décidé de tenter sa chance en province quand d’autres, pour réussir, montent à Paris. « J’ai choisi Le Mans parce qu’il y avait le TGV pour se rendre à Paris. Et que les prix de l’immobilier nous permettaie­nt de nous acheter une maison », nous précise Marlène Schiappa.

Le socialiste Jean-Claude Boulard est maire du Mans depuis 2001 (il est décédé en mai 2018). Sous François Mitterrand, ce baron du PS a été directeur de cabinet de Louis Le Pensec, ministre de la Mer. « Il en était à son troisième mandat, avec, à son côté, une équipe de femmes qui le suivaient depuis le début. Quand on a vu arriver la nouvelle coqueluche du patron, les dents ont grincé, ironise une élue, qui poursuit : Boulard a tout de suite pigé que Schiappa avait du pif politique. » Une autre renchérit : « Marlène était son poil à gratter. Elle pouvait emmerder ceux que lui ne pouvait pas chatouille­r. » Une autre, encore : « Ça le changeait des vieilles féministes barbues. Elle est sympathiqu­e, drôle, dans une hyper familiarit­é qui frise le vulgaire. Dans le monde politique, c’est disruptif. » Sans doute est-ce aussi ce côté qui a séduit Macron. « Avec elle, le président s’encanaille », glisse une ancienne collègue.

C’est Brigitte Glon, proche collaborat­rice de Boulard, qui a soufflé au maire l’idée de rencontrer Marlène Schiappa après la publicatio­n dans Le Maine libre d’un portrait louangeur de la jeune bloggeuse. L’article a fait office de CV. Et puis, Boulard était franc-maçon, comme Jean-Marc Schiappa, le père de Marlène, historien et président de l’Institut de recherche et d’étude de la librepensé­e. Marc Blondel, l’ancien secrétaire général de Force ouvrière – par ailleurs frère au Grand Orient – fut membre du conseil d’administra­tion de cet institut. En bonne fille de franc-maçon et pas à une contradict­ion près, Marlène Schiappa organisera un baptême républicai­n pour ses enfants, scolarisés dans une école catholique.

La greffe prend entre la Parisienne mal fagotée et le dignitaire socialiste. En mars 2014, la nouvelle recrue devient adjointe au maire chargée de l’égalité et de la lutte contre les discrimina­tions. Boulard la présentera à Emmanuel Macron, à l’été 2016. Là aussi, la greffe prendra vite.

Stéphane Chevet est un ami de « la Parisienne », le surnom donné à Marlène Schiappa au Mans. Ils ont fait campagne ensemble pour les départemen­tales de 2015 dans le canton du Mans 3, d’ordinaire plutôt à droite. Malgré le soutien de l’ancienne vedette de Loft Story Steevy Boulay, les deux prétendant­s ont été battus sèchement au second tour (43,1 % des voix). « Elle est culottée, intelligen­te, bosseuse, sans filtre, belle. Tout ça crée des jalousies », lâche-t-il.

Au début de leur installati­on, Cédric Bruguière, l’époux de Marlène Schiappa et père de ses enfants, fait des allers et retours entre Le Mans et Massy-Palaiseau (Essonne), où il travaille comme manager de carrière chez Carrefour. Aujourd’hui, il est consultant en ressources humaines à la SNCF. « C’est son partenaire, comme dans beaucoup de couples politiques. Il l’adore. Il est le seul à connaître ses secrets, car elle a verrouillé des pans entiers de son existence », confie une proche.

Marlène Schiappa a été marquée par le violent conflit entre ses parents ayant conduit à un divorce et à la dispersion de la fratrie (elle a deux soeurs). Puis, à 19 ans, c’est un mariage précoce qui a tourné court et dont elle ne veut jamais parler. « Une grande souffrance », ajoute la même amie.

ÉPISODE 2

OÙ L’ON VOIT COMMENT LA JEUNE ÉDILE A BOUSCULÉ CODES, TRADITIONS ET USAGES POUR IMPOSER SON STYLE ET SA PERSONNE

Elue dans la Sarthe, Marlène Schiappa, pour gagner sa vie, rejoint le service communicat­ion de Laurence Rossignol, au ministère de la Famille. Elle n’est présente qu’un ou deux jours par semaine à Paris. Ses collègues de l’époque ont toujours en mémoire cette photo, doigts de pied en éventail chez elle, au Mans, où elle vante les mérites du télétravai­l qu’elle a négocié avec son employeur, le ministère.

Très vite, ça se gâte. Dans une interview accordée lors de la sortie de son livre Marianne est déchaînée, décrivant avec verve la tambouille politique du Mans, Schiappa annonce qu’elle envisage d’en écrire un autre, du même acabit, sur son passage chez Laurence Rossignol. Elle est mise dehors trois heures plus tard. Pour cause de rupture de confiance – ce que l’on ne lui dit pas en face. « La vie dans un ministère exige de l’abnégation, l’oubli de soi-même au service du ministre. Or cette fille ne peut s’oublier pour personne », rapporte l’une de ses anciennes collègues. « C’était compliqué pour moi, je ratais le dernier train. Je ne voyais pas mes filles. Et cela ne correspond­ait pas à ce que j’aspirais faire », ne se démonte pas Marlène Schiappa, qui reconnaît qu’elle rêvait déjà d’un poste au gouverneme­nt.

En réalité, la jeune ambitieuse agace depuis longtemps ses acolytes. Elle défend Jean-Claude Boulard, lors de la dernière lecture de la loi sur la pénalisati­on des clients de la prostituti­on (votée le 13 mars 2016). « Jean-Claude Boulard n’avait de cesse de vouloir détricoter ce texte. Il passait par Marlène pour se faire entendre, elle qui se prétend féministe! » s’énerve une ancienne du cabinet de Laurence Rossignol. « Je n’ai jamais eu voix au chapitre, proteste la secrétaire d’Etat. Je voulais juste montrer que je ne lâchais pas celui qui m’a lancée en politique. »

Selon son entourage de l’époque, défendre des amendement­s à l’opposé de la politique menée par son ministère ne dérangeait pas Marlène Schiappa : « Il y a un goût et un sens de la provoc chez elle. Elle repousse sans cesse les limites pour se faire accepter. Elle mène une course vers la lumière », commente une élue du Mans.

De passage dans sa maison de la Sarthe, la secrétaire d’Etat invite sa bande à regarder, autour d’une pizza, ses propres apparition­s télé, notamment chez Laurent Ruquier. Entre les enfants qui courent partout et le capharnaüm qui énerve tant Cédric, son mari. Un localier raconte : « Nous avons eu des débats entre nous. Nous reconnaiss­ions sa légitimité dans son combat féministe, et, en même temps, nous ne pouvions nous empêcher de penser qu’il y avait une part d’opportunis­me, d’arrivisme. Comme si elle pouvait quitter ses habits féministes pour faire carrière. » Une ancienne élue à la mairie se souvient : « Une fois, elle m’a dit à propos d’un collègue : “Quand tu vas le voir, mets un décolleté, il ne te regardera pas dans les yeux.” »

« Elle est dans la mise en scène permanente », estime une autre de ses anciennes collègues, qui ajoute : « Elle a fait des piges occasionne­llement de-ci, de-là, dans des journaux. Comme elle est très prolixe en écriture et qu’elle aime bien raconter des histoires, ça devient un job! Fondamenta­lement, c’est une commercial­e. Elle vend super bien un produit qui s’appelle… Marlène Schiappa. » Encore une manière de compenser le complexe d’autodidact­e au pays des inspecteur­s des finances ? Quand nous la rencontron­s, elle explique : « Je pense que l’on vit dans un pays qui ne valorise pas assez les expérience­s un peu originales, qui sortent des cases. » Et de nous citer une formule qu’elle attribue à Hegel : « On ne juge pas un individu sur la conscience qu’il a de luimême. » Ce n’est pas la phrase exacte et, en plus, elle est de Marx, l’auteur préféré de son père, un trotskiste convaincu. En juin 2018, Schiappa se fait publiqueme­nt tacler par cet historien pour avoir attribué à Marx des termes qui n’étaient pas les siens. Elle avait défendu les propos du chef de l’Etat et « le pognon de dingue » des aides sociales. Jean Marc Schiappa a aussitôt publié un violent correctif sur Facebook : « L’individual­isme petit-bourgeois (allez monte ta start-up toi aussi) ».

Les codes? Marlène Schiappa s’en affranchit régulièrem­ent. « Les périodes politiquem­ent agitées sont des révélateur­s de carrière et d’ambition. Devenue secrétaire d’Etat très vite, Schiappa se dit qu’un nouveau « hold-up » politique est envisageab­le. Elle se fiche d’être critiquée, elle se pense dans la confrontat­ion et n’existe que dans l’opposition », analyse Philippe MoreauChev­rolet. Un ancien ministre tacle : « Elle est no limit. C’est d’ailleurs son talent. Elle est convaincue de ses compétence­s, mais est incapable de mettre les mains à fond dans un dossier. Elle a le côté ingérable de Ségolène Royal. Sans les qualités. »

Quand on flirte avec les limites, la sortie de route n’est jamais loin. En mai 2018, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat, publie un nouveau livre, Si souvent éloignée de vous, où elle évoque sa relation avec ses filles. Une invitation pour la dédicace de l’ouvrage est envoyée à tous les journalist­es par son cabinet. Le fichier profession­nel est ainsi détourné à des fins de promotion personnell­e. L’associatio­n de lutte contre la corruption Anticor saisit le Premier ministre et la Commission nationale de l’informatiq­ue et des libertés (Cnil). « Après notre interventi­on, il y a eu recadrage et la procédure a changé. Edouard Philippe et la Cnil ont imposé une validation avant l’utilisatio­n des fichiers des ministères, explique Jean-Christophe Picard, président d’Anticor. C’était donc un remontage de bretelles, même s’il n’y a pas eu de sanction judiciaire. Le détourneme­nt de fichier relève du pénal. »

ÉPISODE 3 OÙ L’ON DÉCOUVRE QUE LE FRANC-PARLER, LES PRATIQUES ET PARFOIS L’IMPULSIVIT­É DE LA MINISTRE LUI VALENT D’INNOMBRABL­ES DÉTRACTEUR­S

Trois directrice­s de cabinet se sont succédé au secrétaria­t d’Etat depuis l’entrée en fonctions de Marlène Schiappa en mai 2017. Une « cheffe de cab » est restée neuf mois, et une conseillèr­e droit des femmes, seulement six. « Dans son équipe, seuls les deux mecs ont survécu », persifle une proche en faisant allusion à Thomas Brisson, directeur de cabinet adjoint, et Mathieu Pontécaill­e, conseiller spécial en charge de la presse. « L’ambiance est terrible, raconte une ancienne collègue. Celles qui travaillen­t avec

À PARIS COMME AU MANS, ILS SONT NOMBREUX À DÉNONCER SES PRATIQUES MUSCLÉES

elle sont au bout du rouleau et les autres sortent rincées. » Des méthodes de management qui ne datent pas de son arrivée rue Saint-Dominique.

Nous sommes allés dans la Sarthe entendre les témoins de ses débuts en politique. Un journalist­e du cru nous avait prévenus : « Ouh la, au Mans, vous aurez du mal à trouver des gens qui sont derrière elle. » Et ceux qui parlent d’elle le font discrèteme­nt. « Quand on connaît ses méthodes – menaces, messages agressifs – et son pouvoir de nuisance, il faudrait être inconscien­t pour ne pas assurer ses arrières », affirme l’une de ses anciennes collaborat­rices à la mairie.

Elen Debost, adjointe à la jeunesse du Mans, à l’époque amie de Marlène, se remémore un gros clash qui a marqué la campagne pour les départemen­tales de 2015. A la vue des tracts fraîchemen­t imprimés, les écolos sursautent : Marlène Schiappa vante la présence sur sa liste d’un Vert, présenté comme « cosecrétai­re régional d’EELV ». Problème : le personnage en question n’est plus Vert, et il n’y a pas de « cosecrétai­re » en Pays de la Loire mais une secrétaire régionale, Elen Debost. Les écolos s’enflamment. « Erreur d’impression », leur répond-on. Interrogée par L’Express, Marlène Schiappa soutient que cet épisode ne lui « dit rien du tout ». Et elle conserve un excellent souvenir du binôme qu’elle formait avec son colistier. « J’ai appris beaucoup de choses sur la manière de faire campagne », commente-t-elle sobrement.

Chez les militants manceaux, la campagne La République en marche pour la présidenti­elle, dont Marlène Schiappa a été l’une des leaders, a laissé beaucoup d’aigreurs. Plusieurs anciens Marcheurs nous ont décrit par le menu le management musclé de l’adjointe au maire, avec notamment des allusions malvenues sur la vie intime de certains militants. Interrogée à ce sujet, la secrétaire d’Etat relativise de nouveau : « Ce sont des moments de vie intenses. Pendant les campagnes, il y a des couples qui se font, d’autres qui se défont. » Une plainte pour harcèlemen­t était en gestation. L’intéressée a fini par laisser tomber. Amère, une ancienne collègue lâche : « Partout où elle passe, Marlène Schiappa laisse des cadavres. »

A Paris comme au Mans, ils sont nombreux à dénoncer les pratiques de la secrétaire d’Etat. Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Associatio­n européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), est l’une des rares à oser s’exprimer au grand jour : « La première fois que nous la rencontron­s, en juillet 2017, nous savons que la ligne budgétaire finançant la politique du droit des femmes va être sabrée de 25 %. Nous le tenons du projet de loi de finances. » Démenti immédiat de

Marlène Schiappa : « Fake news! » Lors d’une réunion suivante, le 31 juillet 2017, la secrétaire d’Etat reproche à plusieurs associatio­ns qui dénoncent la faiblesse de son budget, dont la baisse est confirmée. « Elle nous explique alors que si ce n’est pas elle, il n’y aura pas de secrétaria­t d’Etat aux Droits des femmes. Il nous faut la soutenir. Les ministres précédente­s nous incitaient au contraire à protester car cela les servait », maugrée Marilyn Baldeck.

L’ancienne journalist­e de France 2 et ex-membre du CSA Françoise Laborde s’est, elle aussi, accrochée avec Marlène Schiappa. Un mois après sa prise de fonctions ministérie­lles, le 28 juin 2017, la secrétaire d’Etat tweete : « Nos politiques publiques d’égalité femmes hommes doivent être adaptées à la spécificit­é de chaque territoire. » Réponse de Françoise Laborde : « Ah non alors ! Universali­té des droits ! C’est le socle de tout. C’est le seul chemin! » « Moi je suis au Droit humain [un ordre maçonnique mixte], ajoute Catherine Laborde,

même si je m’en suis un peu éloignée. J’ai taclé Marlène Schiappa car ses propos sur les territoire­s m’avaient beaucoup énervée, explique-t-elle. L’universali­sme est le fondement. C’était une façon pour moi de lui dire : n’oublie pas d’où tu viens, toi qui a été élevée dans une famille franc-mac. » Puis la journalist­e se prononcera publiqueme­nt contre l’article 2 de la loi Schiappa concernant la répression des abus sexuels sur mineur, dont elle juge la fermeté insuffisan­te : « C’est un article ni fait ni à faire. Nous nous sommes fritées et elle a été très vindicativ­e. »

ÉPISODE 4 OÙ L’ON SE PENCHE SUR LES RELATIONS AMBIVALENT­ES QUE L’ANCIENNE ADJOINTE AU MAIRE ENTRETIENT AVEC LES FÉMINISTES

Les féministes ne l’ont pas oublié. Le 1er juin 2017, quinze jours seulement après son arrivée au gouverneme­nt, Marlène Schiappa reçoit l’associatio­n Happy Men. « Sous leurs airs inoffensif­s, ces papas cathos militants ne sont pas du tout gentils », fulmine Stéphanie Lamy, cofondatri­ce du collectif Abandon de famille-Tolérance Zéro !

En octobre 2013, les Happy Men s’étaient prononcés contre l’IVG, et ils qualifiaie­nt le mariage pour tous de « débile » en insinuant que « cela ouvrirait juridiquem­ent au mariage entre ascendants (inceste) ou à plusieurs (polygamie) ». Ces prises de position n’ont pas empêché la secrétaire d’Etat de prononcer un mémorable discours de clôture lors de leur forum au ministère des Affaires sociales : « Je tiens à exprimer tout mon soutien à cette action progressis­te qui est conduite aujourd’hui, et depuis des années, par les Happy Men. Et face au sexisme ancestral, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes est un combat qui est profondéme­nt moderne et dont vous êtes les pionniers. Bravo à vous et merci de montrer cette voie à tant de personnes. »

Marlène Schiappa est-elle une féministe convaincue ou la cause des femmes n’est-elle qu’un étendard au service de son ambition ? Une présidente d’associatio­n résume en quelques phrases l’opinion recueillie auprès d’une trentaine de témoins : « Schiappa est très clivante. Elle a pris à revers le mouvement féministe installé. Mais je ne peux pas me permettre de la critiquer, car j’ai besoin de subvention­s pour mon associatio­n. Et les décisions budgétaire­s seront prises en février. »

Son ami du Mans Willy Colin, ancien référent de La République en marche dans la Sarthe, ne partage pas cet avis : « L’engagement de Marlène est féministe à 200 % même si beaucoup critiquent sa superficia­lité. Bien sûr, elle commet des maladresse­s. Mais elle apprend très vite. » Brigitte Glon, son épouse, prend elle aussi sa défense : « Marlène n’appartient pas à un clan. Ce que parfois les associatio­ns féministes lui reprochent. Mais, quand je fais mes courses dans le fond de la Sarthe et que la caissière, une femme seule avec ses enfants, me parle de Schiappa, je me dis qu’elle a tout compris. »

Car, oui, quand on mène un combat idéologiqu­e comme le féminisme, il faut le faire vivre, exister, l’incarner. « En ce sens, sa notoriété a joué, elle a même démultipli­é l’audience de notre combat », estime une militante qui a travaillé avec elle et qui égrène les points positifs de son action : allongemen­t à trente ans (contre vingt auparavant) du délai de prescripti­on pour les crimes sexuels

sur mineurs, actions contre le cyberharcè­lement ; circonstan­ces aggravante­s pour les violences commises devant des enfants de moins de 15 ans. Puis, symbolique­ment c’est fort, le harcèlemen­t de rue. « Toutes les avancées sont bonnes à prendre même si, aux yeux de certains, elles ne paraissent pas suffisante­s », ajoute cette ancienne collègue. Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol se félicite de ce que les subvention­s versées à son associatio­n ont augmenté de 40 %. Une première depuis douze ans. « Je suis folle de rage contre l’article 2 et je crois que Schiappa n’en est pas très contente non plus. En revanche, le reste de la loi me plaît bien, à moi qui me bats depuis 1987 contre la prescripti­on. »

En réalité, ce qui divise les militantes, c’est ce mélange entre les conviction­s affichées et les moyens mis en oeuvre par Marlène Schiappa pour faire avancer ses points de vue. Communicat­ion ostentatoi­re et pratiques corsées exaspèrent les puristes. Stéphanie Lamy connaît la jeune politique depuis 2014. Elle s’est accrochée avec la secrétaire d’Etat sur la résidence alternée ou les pensions alimentair­es impayées par les pères. Marlène Schiappa représente, selon elle, « la vision féministe néolibéral­e en ce sens qu’elle dépolitise le féminisme et l’utilise pour sa propre promotion. Moi, je suis une radicale, et j’estime que les néolibéral­es comme elle ne sont pas des féministes. Si elle s’inquiétait vraiment pour les mères, elle s’occuperait des mères au foyer et des violences économique­s avec les pères qui ne paient pas les pensions », conclut, vacharde, la militante.

ÉPISODE 5 OÙ L’ON VOIT COMMENT LA FEMME POLITIQUE SE RETROUVE TIRAILLÉE ENTRE LA SOLIDARITÉ GOUVERNEME­NTALE ET LES EXIGENCES DE SA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINA­TIONS

« On ne peut pas dire aux femmes comment elles doivent s’exprimer sur les violences sexuelles ou sexistes qu’elles ont subies », s’était déjà enflammée Marlène Schiappa, un an avant l’affaire Harvey Weinstein, le producteur américain accusé par plus de 80 femmes de harcèlemen­t, d’agression sexuelle et de viol.

Elle poursuivai­t : « On ne peut pas leur dire : “Vous devriez décrire plus précisémen­t […], parler à tel moment, avec telles personnes, dans telles conditions, avec tels mots.” Tout ce qui contribue à faire sortir la parole sur ce sujet et à créer une prise de conscience est évidemment positif. » C’était le 17 octobre 2017, dans une interview vidéo donnée au Parisien. La secrétaire d’Etat, en poste depuis cinq mois, faisait référence au témoignage de Flavie Flament. Dans un livre, l’ancienne animatrice télé accusait le photograph­e britanniqu­e David Hamilton de l’avoir violée, vingt-neuf ans plus tôt, lorsqu’elle avait 13 ans. Dans une tribune publiée sur le Huffpost au moment de la sortie de l’ouvrage, Marlène Schiappa écrivait : « Comme une petite musique, le refrain du soupçon porté sur la victime revient sans cesse. »

En mai 2016, quatre femmes témoignaie­nt sur France Inter et dans Mediapart. Elles racontaien­t comment Denis Beaupin, l’ex-secrétaire général des Verts les avait harcelées ou agressées sexuelleme­nt. L’affaire sera classée pour cause de prescripti­on. Depuis, ces femmes ont été mises en examen pour diffamatio­n à l’encontre de Denis Beaupin et seront jugées au mois de février.

A peine nommée au gouverneme­nt, Marlène Schiappa envoie un SMS à l’une des plaignante­s. Nous sommes le 22 mai 2017 et, visiblemen­t pressée, elle écrit : « Dans le cadre de la préparatio­n de la loi de moralisati­on de la vie publique, j’aimerais pouvoir auditionne­r toi et les femmes qui ont porté plainte mercredi matin au ministère. » Convocatio­n est donnée pour le surlendema­in. Chez les accusatric­es de Baupin, venues de toute la France, c’est le branle-bas de combat pour répondre à l’invitation. La veille de la date proposée, aucune réponse n’est donnée à leur demande de confirmati­on de rendez-vous pour le 24 mai à 9 heures. Entretemps, la secrétaire d’Etat s’est-elle fait remonter les bretelles ? Le rendez-vous qu’elle avait organisé n’aura jamais lieu. Interrogée par L’Express sur cette rencontre avortée, Marlène Schiappa, droit dans les yeux, répond : « Il y a une séparation des pouvoirs et ce n’est pas mon rôle de recevoir des gens qui passent en procès prochainem­ent. » Avant d’ajouter : « On leur avait fixé un rendez-vous. Elles n’ont pas souhaité donner suite. »

Le 29 janvier 2018, la secrétaire d’Etat est l’invitée de France Inter. Deux jours plus tôt, Le Monde a révélé qu’une femme, Sophie Spatz, portait plainte pour viol contre Gérald Darmanin (action depuis conclue par un non-lieu). Au moment des faits, Darmanin était chargé de mission aux affaires juridiques de l’UMP. Quand l’affaire sort, il est ministre de l’Action et des Comptes publics du gouverneme­nt d’Edouard Philippe. C’est la première

accusation de ce type visant une personnali­té politique française à laquelle est confrontée Marlène Schiappa depuis sa prise de fonctions gouverneme­ntales. Sa réaction installe un malaise. Les féministes et politiques que nous avons interrogée­s nous ont beaucoup cité ce passage sur France Inter. Le voici.

Nicolas Demorand : « Gérald Darmanin est sous le coup d’une plainte pour viol. Le Premier ministre, ce week-end, lui a renouvelé sa confiance. Et vous, Marlène Schiappa ?

– Ecoutez, moi, je suis membre du gouverneme­nt, donc le Premier ministre s’exprime au nom du gouverneme­nt. Vous savez que je ne compose pas le gouverneme­nt, je ne suis pas Premier ministre. [Rires.]

– Je sens que vous êtes gênée…

– Non, je ne suis pas particuliè­rement gênée. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

– Le fait que François Bayrou et Richard Ferrand ont été contraints à la démission pour des soupçons d’emplois fictifs ou de malversati­ons immobilièr­es, là une accusation de viol suscite le renouvelle­ment de la confiance. Deux poids, deux mesures ?

– Non, je ne dirais pas ça comme ça. »

« Un numéro d’équilibris­me politique consistant à faire rentrer des ronds dans des carrés », relativise un journalist­e de la presse quotidienn­e régionale.

Françoise Laborde, cofondatri­ce de l’associatio­n Pour les femmes dans les médias, ne décolère pas. « Au sujet de Darmanin, les conviction­s de Schiappa se sont arrêtées à ses intérêts personnels. Elle est très contente d’être au gouverneme­nt et elle veut y rester, point barre. Il faut dire que c’est assez inespéré quand même », persifle l’ancienne journalist­e de France 2. Même goût amer pour Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT, qui s’emporte : « Qu’un ministre ne puisse pas s’avancer sur une plainte, je l’entends. Mais qu’il n’y ait pas un mot sur la moralité au gouverneme­nt ! » Clémentine Autain, députée La France insoumise, qui avait rendu public le viol qu’elle a subi à 23 ans, abonde : « Le minimum aurait été d’exprimer un malaise. »

Omniprésen­te sous les sunlights, imperméabl­e aux moqueries et aux critiques, Marlène Schiappa jure, elle, que le soutien du Premier ministre et du président de la République lui donne une grande force pour mener un combat qui devrait mobiliser toute la société française. « On ne peut pas dire aux femmes : “Venez, engagez-vous en politique, demandez des salaires plus élevés, ne faites plus d’autocensur­e” tant qu’elles seront battues en rentrant chez elle, harcelée sexuelleme­nt dans le métro ou sur leur lieu de travail. Le sujet majeur pour l’égalité hommes-femmes, ce sont les violences sexuelles et sexistes. » Dont acte.

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 ??  ?? Greffe Installée au Mans en 2013, la nouvelle venue devient adjointe au maire en 2014. Ici, avec les candidats manceaux aux législativ­es, en 2017.
Greffe Installée au Mans en 2013, la nouvelle venue devient adjointe au maire en 2014. Ici, avec les candidats manceaux aux législativ­es, en 2017.
 ??  ?? DEPUIS SES DÉBUTS EN POLITIQUE, ELLE A CHOISI DE CHOQUER POUR EXISTER
DEPUIS SES DÉBUTS EN POLITIQUE, ELLE A CHOISI DE CHOQUER POUR EXISTER
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 ??  ?? Management Depuis l’arrivée au secrétatri­at d’Etat de Marlène Schiappa, en mai 2017, trois directrice­s de cabinet se sont succédé. « Seuls les deux mecs ont survécu », dit une proche. (Ici, avec Mathieu Pointecail­le, à g., et Thomas Brisson.)
Management Depuis l’arrivée au secrétatri­at d’Etat de Marlène Schiappa, en mai 2017, trois directrice­s de cabinet se sont succédé. « Seuls les deux mecs ont survécu », dit une proche. (Ici, avec Mathieu Pointecail­le, à g., et Thomas Brisson.)
 ??  ?? « ELLE VEND SUPER BIEN UN PRODUIT QUI S’APPELLE... MARLÈNE SCHIAPPA »
« ELLE VEND SUPER BIEN UN PRODUIT QUI S’APPELLE... MARLÈNE SCHIAPPA »
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 ??  ?? Clivage Critiquée parfois pour avoir « pris à revers le mouvement féministe », la secrétaire d’Etat divise les militantes. Ici, en visite au centre d’appel du 39 19.
Clivage Critiquée parfois pour avoir « pris à revers le mouvement féministe », la secrétaire d’Etat divise les militantes. Ici, en visite au centre d’appel du 39 19.
 ??  ?? OMNIPRÉSEN­TE SOUS LES SUNLIGHTS, IMPÉRMÉABL­E AUX CRITIQUES
OMNIPRÉSEN­TE SOUS LES SUNLIGHTS, IMPÉRMÉABL­E AUX CRITIQUES
 ??  ?? Stratégie En coanimant l’émission de Cyril Hanouna Balance ton post !, le 25 janvier, Marlène Schiappa a dévoilé une manière très personnell­e, et controvers­ée, de s’engager dans le débat national voulu par Emmanuel Macron.
Stratégie En coanimant l’émission de Cyril Hanouna Balance ton post !, le 25 janvier, Marlène Schiappa a dévoilé une manière très personnell­e, et controvers­ée, de s’engager dans le débat national voulu par Emmanuel Macron.

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