L'Express (France)

Olga, Mère Courage

- M. P.

Quinze ans! Quinze ans que Bernhard Schlink n’était pas venu à Paris. « Une erreur, j’avais oublié combien la ville était belle », s’exclame l’auteur du best-seller mondial Le Liseur, publié en France en 1996. Mais c’est bien l’Allemagne du xxe siècle que l’on traverse en compagnie de cet élégant gentleman de 74 ans, à la fois écrivain, professeur de droit public et expert, au côté de sa superbe héroïne, prise dans la tourmente des guerres et des rêves de suprématie d’une nation. Olga, née à la fin du xixe à Breslau, dans l’est de l’Empire allemand, puis recueillie, orpheline, par une grand-mère peu aimante en Poméranie, devient institutri­ce en Prusse-Orientale. Territoire qu’elle devra fuir, comme des milliers de ses concitoyen­s, pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de s’installer près de Heidelberg.

Mais la grande histoire de sa vie, c’est son amour, fou, fidèle au-delà de la mort, pour Herbert, jeune homme de bonne famille, ivre d’immensité et de désert, qui se perdra lors d’une expédition mal ficelée dans les glaces du Spitzberg, en 1913. C’est cet Herbert, d’ailleurs, officier et explorateu­r méconnu, qui fut le point de départ du roman, comme l’explique son auteur : « Je suis tombé sur le Journal du vrai Herbert Schröder-Stranz, lorsque, membre du corps expédition­naire, il a été envoyé dans le Sud-Ouest africain [l’actuelle Namibie, alors colonie allemande] combattre les Herero. Sa fascinatio­n pour le désert et le néant m’a impression­né. A sa façon, il symbolisai­t les aspiration­s impériales de l’Allemagne et sa folie des grandeurs à venir. J’ai tricoté mon personnage en m’inspirant de cet officier. » Bernhard Schlink se demande ensuite quel genre de femme pouvait l’aimer. C’est ainsi que s’est dessiné le personnage d’Olga la sage, pétrie de bon sens et de lucidité, représenta­nte d’une génération de femmes contrainte­s de vivre en deçà de leurs capacités tandis que leurs hommes vivaient, eux, au-delà des leurs. Une femme qui ressemble à la grand-mère maternelle de l’écrivain : « Je l’aimais beaucoup, elle a eu un rôle important dans ma vie, tout comme ma marraine. Elles aussi auraient adoré aller à l’université. Comme elles, Olga ne rompt pas, survit aux guerres, subvient seule à ses besoins, et se fait un devoir de transmettr­e aux jeunes génération­s. »

Sublime portrait de femme, Olga est une aussi une réflexion passionnan­te sur le bien et le mal, et sur ce qui a pu pousser un pays comme l’Allemagne dans la démesure. « Le chancelier Bismarck n’avait pas de tels démons, explique l’auteur, mais il a posé l’Allemagne sur un cheval trop grand pour elle. Par ailleurs, les Allemands ont rêvé si longtemps d’un Etat que, lorsqu’ils l’ont obtenu, leur imaginatio­n a continué de galoper. Et de vouloir une Allemagne toujours plus grande, un empire sur lequel le soleil ne se coucherait jamais… Mais deux guerres perdues ont mis définitive­ment fin à ces outrances. » Parole de gentleman !

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 ??  ?? OLGA PAr BErNHArd SCHLiNk, TrAd. dE L’ALLEMANd PAr BErNArd LOrTHOLAry. GALLiMArd, 272 P., 19 €. 18/20
OLGA PAr BErNHArd SCHLiNk, TrAd. dE L’ALLEMANd PAr BErNArd LOrTHOLAry. GALLiMArd, 272 P., 19 €. 18/20

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