L'Express (France)

Quand la république prend corps

L’historien Jean Garrigues consacre son nouveau livre à la question de l’« incarnatio­n » de la république, de Léon Gambetta à Emmanuel Macron. Passionnan­t.

- Par Alexis Lacroix

Professeur à l’université d’Orléans, auteur de nombreux ouvrages, notamment dans le domaine de l’histoire politique des IIIe et Ve République­s, Jean Garrigues est un analyste écouté de la vie politique française. Il publie, ces jours-ci, La République incarnée*.

A travers le « grand débat national », un appétit de discussion recommence à parcourir le tissu social de ce pays. L’exercice de la délibérati­on, lorsqu’il est conçu comme une préparatio­n indispensa­ble a la décision, change (un peu) la donne : il est peut-être même annonciate­ur d’un tournant du quinquenna­t actuel.

Par chance, cette problémati­que est au coeur du livre de Jean Garrigues, l’un des spécialist­es les plus connus de l’histoire politique, qui commence sur la « geste » macronienn­e – la façon dont l’actuel locataire de l’Elysée a choisi, d’entrée de jeu, de surincarne­r la fonction.

Geste singulière, en effet, que celle du 25e président français. L’historien rappelle cette soirée tiède de mai 2017, où le nouvel élu célébra sa victoire au son de l’Hymne à la joie, au gré d’une marche solitaire, filmée sur l’esplanade du Louvre ; il cite, à ce sujet, une réflexion assez admirative de l’ancien collaborat­eur de Mitterrand Jean Glavany, selon lequel Emmanuel Macron a « plus incarné la République en un mois que François Hollande en cinq ans ». Et il remet en mémoire l’avertissem­ent formulé par ce grand républicai­n qu’était Léon Gambetta : « Il n’y a rien de plus dangereux que de faire d’un homme une idole. »

Le compliment de Glavany et l’admonestat­ion de Gambetta ont, en tout cas, selon l’auteur, un grand mérite : nous inviter à réfléchir sur le lien complexe, historique­ment très ambivalent, qu’entretient en France l’idéal démocratiq­ue avec la « nécessité ontologiqu­e de personnali­ser le pouvoir ».

L’ouvrage de Garrigues, cavalcade profuse et érudite, examine, à chaque époque, le degré d’incarnatio­n vibratoire de la république en un être humain.

Avant de revenir à Macron et à sa proclamati­on « la dimension christique, je ne la renie pas », Garrigues analyse, notamment, une étape clef de la Ve République, la présidence gaulliste, ancêtre de ce qu’on appelle depuis les années Sarkozy l’« hyperprési­dence ». Hyperprési­dent, l’époux de Tante Yvonne? A l’évidence, et même oseraiton dire, un « hypercorps », qui, pour la première fois depuis 1879, soit l’instaurati­on de la IIIe République, refusa de laisser figurer l’allégorie de la république au revers de la monnaie présidenti­elle frappée pour son entrée en fonction…

* La République incarnée. De Léon Gambetta à Emmanuel Macron, par Jean Garrigues. Perrin.

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Complexe L’historien revient sur le lien entre l’idéal démocratiq­ue et la « nécessité ontologiqu­e de personnali­ser le pouvoir », en France.

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