Quand la république prend corps
L’historien Jean Garrigues consacre son nouveau livre à la question de l’« incarnation » de la république, de Léon Gambetta à Emmanuel Macron. Passionnant.
Professeur à l’université d’Orléans, auteur de nombreux ouvrages, notamment dans le domaine de l’histoire politique des IIIe et Ve Républiques, Jean Garrigues est un analyste écouté de la vie politique française. Il publie, ces jours-ci, La République incarnée*.
A travers le « grand débat national », un appétit de discussion recommence à parcourir le tissu social de ce pays. L’exercice de la délibération, lorsqu’il est conçu comme une préparation indispensable a la décision, change (un peu) la donne : il est peut-être même annonciateur d’un tournant du quinquennat actuel.
Par chance, cette problématique est au coeur du livre de Jean Garrigues, l’un des spécialistes les plus connus de l’histoire politique, qui commence sur la « geste » macronienne – la façon dont l’actuel locataire de l’Elysée a choisi, d’entrée de jeu, de surincarner la fonction.
Geste singulière, en effet, que celle du 25e président français. L’historien rappelle cette soirée tiède de mai 2017, où le nouvel élu célébra sa victoire au son de l’Hymne à la joie, au gré d’une marche solitaire, filmée sur l’esplanade du Louvre ; il cite, à ce sujet, une réflexion assez admirative de l’ancien collaborateur de Mitterrand Jean Glavany, selon lequel Emmanuel Macron a « plus incarné la République en un mois que François Hollande en cinq ans ». Et il remet en mémoire l’avertissement formulé par ce grand républicain qu’était Léon Gambetta : « Il n’y a rien de plus dangereux que de faire d’un homme une idole. »
Le compliment de Glavany et l’admonestation de Gambetta ont, en tout cas, selon l’auteur, un grand mérite : nous inviter à réfléchir sur le lien complexe, historiquement très ambivalent, qu’entretient en France l’idéal démocratique avec la « nécessité ontologique de personnaliser le pouvoir ».
L’ouvrage de Garrigues, cavalcade profuse et érudite, examine, à chaque époque, le degré d’incarnation vibratoire de la république en un être humain.
Avant de revenir à Macron et à sa proclamation « la dimension christique, je ne la renie pas », Garrigues analyse, notamment, une étape clef de la Ve République, la présidence gaulliste, ancêtre de ce qu’on appelle depuis les années Sarkozy l’« hyperprésidence ». Hyperprésident, l’époux de Tante Yvonne? A l’évidence, et même oseraiton dire, un « hypercorps », qui, pour la première fois depuis 1879, soit l’instauration de la IIIe République, refusa de laisser figurer l’allégorie de la république au revers de la monnaie présidentielle frappée pour son entrée en fonction…
* La République incarnée. De Léon Gambetta à Emmanuel Macron, par Jean Garrigues. Perrin.