Citizen Minc
Il irrite ou en impose. Parfois, il provoque les deux réactions simultanément. Plus souvent, il instruit. Car son regard est celui d’un frontalier, au point de jonction des univers politique, économique, journalistique. Alain Minc, si vilipendé, est un contemporain important. La preuve par son 42e livre, qui tient à la fois du témoignage sur le vif d’un familier de l’« oligarchie », comme disent les mélenchonistes, et de fragments de Mémoires anticipés.
Sur l’essentiel, Minc voit clair. Il n’a pas perdu son oeil de lynx . Au contraire. Quand il s’effraie de Salvini et de Di Maio, il a, ô combien, raison. Lorsqu’il conseille à tous les responsables publics qui veulent opposer une digue au flot boueux du populisme attrape-tout d’élaborer un « populisme mainstream », leur déclarant en substance « vous gagnerez si vous savez ramener les électeurs populistes modérés dans l’arc républicain », à l’instar de ces gilets jaunes prêts au dialogue, il rend un service à la République. Idem quand, à rebours de l’air du temps, il redit sa conviction que la nouvelle frontière européenne est bien l’horizon indépassable de notre époque. Ou encore lorsqu’il ose vanter le leadership médiatique des chaînes d’info, qui « n’ont pas qu’un côté sombre pour la classe politique » en « revalorisant » la politique.
Et puis Minc captivera les pro- comme les anti-Macron par l’acuité nuancée de son portrait du président. Il parle du « Bonaparte Premier consul, mais sans le risque du Consulat à vie », et, ajoute-t-il, doté, d’un « goût de la transgression », avant de se demander quand même si c’est l’absence de surmoi ou, au contraire, l’existence d’un « surmoi tellement fort » qui a autorisé ce disciple de Paul Ricoeur à renverser la table en 2017… Minc de plaider, face au mur du refus populiste, pour une « forme douce de Consulat ». Voyage au centre du « système »,
Grasset, 2019.