L’ÈRE D’UNE NOUVELLE HEURE
La 29e édition du Salon international de la haute horlogerie de Genève a permis à 35 maisons de présenter un assortiment de nouveautés qui donneront sans doute le ton de l’année en matière horlogère.
L’an passé, à la même époque, on parlait de la désaffection des Salons. Aujourd’hui, les jeux sont faits et l’on sait que ces rendez-vous, devenus des institutions, se cherchent et voient leur cadre traditionnel exploser. Avec des stands très « green », des végétalisations, des arbres plantés, des cascades et des images de montagnes, l’idée, sans doute, était de remettre l’église au milieu du village. Une façon de rappeler que, malgré l’internationalisation des marchés connue pour avoir une faculté à « déraciner » les entreprises, ces marques avaient pour origine les montagnes jurassiennes helvétiques. Cette scénographie, pour facile qu’elle soit, fonctionne assez bien auprès des nouveaux acteurs asiatiques, prêts à s’émerveiller de ce retour à la nature né d’une volonté de réinscrire cette industrie de pointe dans un artisanat de bon aloi.
Au demeurant, dans ce monde horloger en pleine mutation et pour leur dernière participation au SIHH, les marques Audemars Piguet et Richard Mille ont défrayé la chronique.
La première a été mise sous les projecteurs après le déferlement de haine sur certains forums et blogs horlogers. Comme le soulignait la direction de cette manufacture indépendante, cette publicité inattendue autour de la nouvelle collection Code 11.59, à qui ses détracteurs reprochaient d’avoir un design compliqué et, surtout, de réduire la production des très recherchées Royal Oak (la production annuelle d’Audemars Piguet est de 40 000 montres pour un chiffre d’affaires de 1,1 milliard de francs suisses), lui a permis de se faire connaître en un temps record et de trouver rapidement ses adeptes. La seconde a fait débat avec sa ligne féminine aux décors de friandises acidulées. Selon certaines spécialistes du marché, ces pièces de prix révèlent une vision machiste de la femme, même si elles contribuent à renouveler le style souvent un peu trop classique des montres à destination du « beau sexe ». A écouter tous ces commentaires, qui prennent parfois une ampleur inattendue, on pourrait croire le métier contaminé par l’effet « gilets jaunes ». Par chance, au-delà de ces petites polémiques, se dessine un vrai renouveau que l’on devine initié par les plus créatifs des acteurs de la profession.
Ainsi, ce futurisme horloger – dont certaines maisons comme Urwerk avec la UR-111C, Ulysse Nardin avec la Freak X Carbonium ou MB&F avec ses étonnantes créations, sont les garantes, depuis de nombreuses années – infuse doucement des entités plus classiques. Pour convaincre le public de cette lente imprégnation, la Fondation de la haute horlogerie avait conçu une exposition offrant aux visiteurs de découvrir les nouvelles technologies employées dans les montres ou certaines inventions mises au point par des scientifiques qu’il sera sans doute possible de trouver dans les garde-temps de demain. Didactique, cette approche a sensibilisé les journalistes à l’idée selon laquelle une nouvelle ère s’ouvrait pour le métier. Et elle n’a pas tardé à être inaugurée avec la présentation par Vacheron Constantin – sans doute la plus traditionnelle des manufactures horlogères suisses – d’un modèle associant tradition et modernité avec talent. La montre Traditionnelle Twin Beat Quantième Perpétuel dispose en effet d’une complication innovante lui permettant d’être mise en veille durant plus de deux mois lorsqu’elle n’est plus portée afin d’éviter à son propriétaire de reprogrammer les informations calendaires apparaissant sur son cadran au dessin très contemporain. Prenant également soin d’innover, la manufacture saxonne A. Lange & Söhne présentait, pour les 10 ans de la Zeitwerk, une édition équipée d’une date, affichée de façon lisible et moderne à la périphérie du cadran. La maison Cartier a fait un peu la même chose en proposant une évolution contemporaine de la montre Santos Chronographe. Pour lui conserver ses lignes modernisées, surtout en version bracelet interchangeable QuickSwith en caoutchouc, la marque a revisité
l’emplacement des poussoirs et positionné celui de lancement et d’arrêt de la complication à 9 heures, tandis que celui de remise à zéro est intégré à la couronne de remontoir.
Parmi les tendances, la couleur bleue demeure la plus appréciée des horlogers traditionnels, même si quelques maisons tentent bien une petite percée avec des offres présentant des cadrans d’autres teintes au sein de leurs collections. Avec son boîtier en bronze et son cadran vert assorti d’une lunette en céramique inrayable dans le même ton, la montre 1858 Geosphere Limited Edition de Montblanc possède des atouts à même d’attirer l’attention de ceux qui vou- dront se faire remarquer en anticipant la mode à venir. Mais que les amateurs de bleu se rassurent, cette teinte demeure une valeur sûre, ce que confirme la direction de Baume & Mercier qui l’a utilisée pour mettre en valeur sa ligne Clifton Baumatic, dont le rapport qualité-prix séduira les amateurs exigeants.
La bataille des matériaux nouveaux est également ouverte. Le Carbotech, que Panerai exploite pour sa série Submersible Marina Militare Carbotech de 47 mm, avait le vent en poupe cette année. A noter cependant qu’IWC proposait le Ceratanium, un alliage de titane contenant de l’oxyde de zirconium. Ce métal léger et résistant employé dans l’aéronautique est utilisé pour la montre d’aviateur Chronographe Top Gun Ceratanium. Sans aller aussi loin, une maison de tradition comme Parmigiani a, elle aussi, fait une concession à la modernité en proposant son fameux Kalpagraph habillé de titane.
Si la magnifique montre traditionnelle Twin Beat Quantième Perpétuel est incontestablement la star du 29e SIHH, d’autres références, chez Vacheron Constantin, retiennent l’attention. On pense en particulier aux
nouvelles pièces uniques Les Cabinotiers Mécanique sauvage. Le soin apporté à la réalisation du panda a retenu l’attention, comme la panthère en marqueterie de bois chez Cartier a séduit par son réalisme. D’autres maisons ont évoqué les cieux pour révéler la puissance de leurs créations. Ainsi, Piaget proposait sa fameuse Altiplano avec un cadran en météorite. La manufacture Audemars Piguet jouait avec les formes pour créer Sapphire Orbe, une montre de haute joaillerie dont le dessin fluide, très influencé par les seventies, semble une comète de lumière au poignet. Et tant qu’à parler de ciel, certaines maisons comme Hermès ont fait le choix de le célébrer par un hommage à la Lune, notre satellite, en lui offrant de se mouvoir de façon originale au coeur de l’Arceau l’Heure de la Lune. Soit dit en passant, cette tendance à donner aux astres des finitions réalistes a incité des maisons à mettre des sphères dans leurs créations. Si Jaeger-LeCoultre revisite le Gyrotourbillon – le tourbillon monté dans une cage sphérique au coeur de son modèle Master Grande Tradition Gyrotourbillon Westminster Perpétuel –, d’autres marques, comme DeWitt, ont fait le pari d’enfermer dans un garde-temps une Terre dans sa totalité pour indiquer les fuseaux horaires. Et parce qu’il n’existe pas de limite à la créativité, Girard-Perregaux a choisi de capter l’espace en organisant un dialogue inédit entre terre et ciel, réunis dans le boîtier d’un instrument magistral baptisé pour l’occasion Bridges Cosmos… Une façon de prouver qu’il y a toujours des ponts entre poésie et technologie.