LE BISTROT QUI MONTE
Le discret Amar Chalal crée la surprise à Paris, à deux pas de la place de Clichy.
Est-ce sa jeunesse dans les montagnes de Kabylie ? Ses treks au col Thorong-La, dans l’Annapurna (5 416 mètres), et dans les Torres del Paine, au Chili ? Ou bien sa nouvelle vie de chef dans le haut d’une rue de Paris qui monte raide vers la place de Clichy ? Où qu’il soit, Amar Chalal affiche un certain goût pour la grimpette. Et ses fidèles clients le lui rendent bien, qui portent haut la cote de son nouveau bistrot. Parmi eux, le Dr Pieri. C’est le médecin gourmet de la rue de Parme, imparable pour flairer, avant les autres, dans ce quartier des théâtres, la petite adresse prête à squatter l’affiche. Il a fait L’Ascension dans les premiers jours de son ouverture, en juin dernier. Depuis, pas une semaine sans qu’il n’aille soigner son estomac, entre deux consultations, avec la formule déjeuner à 22 €. Sur sa recommandation insistante, on
a fini par s’y rejoindre un lundi à midi. Sans trop d’espoir. Sans être très attentif à ce décor baigné de lumière, où flottent des touches de bronze et de vert céladon, des tables en bois blond et des banquettes en velours bleu. Sans savoir grand-chose non plus du quarantenaire dans sa cuisine à découvert. Renseignements pris, le garçon a passé quatre ans au côté de Yannick Alléno, au Terroir parisien et chez Ledoyen.
Histoire de patienter, on se paie une tranche de terrine de foies de volaille maison… Tilt ! Régulière dans ses strates, confortable dans ses textures, équilibrée dans ses assaisonnements, fouettée de quelques pickles de légumes, cette jolie pièce de marqueterie charcutière lance le coup d’envoi d’une partie de plaisirs inespérée. On nous bassine ces temps-ci avec « l’oeuf parfait », cuit à basse température : jaune crémeux mais blanc trop souvent glaireux. Amar Chalal préfère le classicisme de l’oeuf mollet. Et c’est tant mieux. Son jaune coulant et son blanc souple fusionnent avec une tombée de champignons de Paris fondants, une purée de chlorophylle (épinards, persil, estragon, cerfeuil), des croûtons dorés, le tout perlé par un excitant jus de viande. La pintade fermière brandit son suprême rebondi – peau saisie, chairs crémeuses, jus court – aux côtés d’un risotto de maïs croquant et sucré, rafraîchi par une goutte de vinaigre de vin. Assiette juste, exécution précise, bonheur immédiat. On a compris à qui on avait affaire : un cuisinier. Et de ceux qui sont sûrs de leur technique, maîtrisent les cuissons et dressent leurs assiettes avec le sentiment du devoir accompli. Avec sa complice Aurélia Marin, il nous emmène même, en dessert, escalader par la face nord un épais pressé de poire sur un crumble aux amandes caramélisées, servi tiède. Petit vertige fruité, pulpeux, biscuité, pas trop sucré. On ressort chamboulé par cette Ascension surprise. Le Dr Pieri affiche un sourire au moment du café. Comme chaque semaine, il a savouré sa promenade de santé.