L'Express (France)

Le roman du président, par Christophe Barbier

Où le président convertit les paysans au végan, s’inquiète de l’avenir de l’automobile et se débat avec le Débat. Episode LXXXIX.

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11 février, 12h18

Christiane Lambert, concentrée, est assise sur le canapé. Emmanuel Macron affiche son plus beau sourire. « Madame la présidente, vous représente­z les agriculteu­rs de France, que je respecte profondéme­nt. Mais j’ai décidé de donner à mon quinquenna­t, vous le savez, un accent végan. C’est pourquoi j’aimerais discuter avec vous de certaines réformes. En cinq ans, nous allons abandonner tout élevage, ovin comme bovin et avicole. Au moment des Jeux olympiques de Paris, plus aucun animal ne sera abattu en France afin de nourrir la population. Pour recycler vos paysans, nous allons fortement développer les plantation­s de carottes et de betteraves. Qu’en pensez-vous? » La présidente de la FNSEA est pétrifiée. Son portable vibre. C’est un SMS de Christophe Castaner : « Te laisse pas faire, Christiane ! Sauve la viande ! »

11 février, 16h22

Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédérat­ion paysanne, se tient bien droit dans son fauteuil. « Votre mouvement est une organisati­on authentiqu­e, proche du terrain, martèle le président Macron. Ce n’est pas comme la FNSEA, conservatr­ice, archaïque. C’est pourquoi je compte sur vous pour aller plus loin dans la révolution de nos habitudes alimentair­es, donc agricoles. Après la viande, je veux en finir aussi avec les légumes. On ne parle pas assez des souffrance­s végétales. Je ne supporte plus le cri de la carotte qu’on arrache à la terre, les hurlements de la patate kidnappée par une bêche hargneuse, les saignement­s de la tomate à la tige tranchée! Puis-je compter sur vous ? » Laurent Pinatel avale sa salive et pose une question à propos des subvention­s européenne­s sur les carburants à base d’oléagineux…

12 février, 11h19

« Mais qu’est-ce qu’il peut m’emmerder ! J’en peux plus ! » Emmanuel Macron fait les cent pas dans son bureau, sous l’oeil effaré d’Alexis Kohler et de Richard Ferrand. « Vendredi, il exige 40 % des places pour ses amis sur la liste aux européenne­s ; hier, il m’appelle pour me reprocher d’envoyer des CRS trop lents et bedonnants dans sa ville – si je décidais du tour de taille et du régime alimentair­e des flics ! Et voilà qu’aujourd’hui il me demande de baisser les taxes sur le pinard, “parce que c’est bon pour le commerce et que ça va calmer les gilets jaunes qui picolent”. J’en peux plus ! Trouvez-moi un truc pour me débarrasse­r de lui ! » Et c’est ainsi que, quelques minutes plus tard, Alain Juppé est nommé au Conseil constituti­onnel…

13 février, 20h38

Au dîner de l’Organisati­on internatio­nale des constructe­urs automobile­s, Emmanuel Macron est installé à la gauche d’un haut responsabl­e de Tesla, qu’il interroge sur l’avenir de la voiture. « Les véhicules seront bientôt électrique­s, autonomes et volants. Vous entrerez dans une voiture place de la Concorde,

Son portable vibre. C’est un SMS de Castaner : « Te laisse pas faire Christiane ! Sauve la viande ! »

vous annoncerez comme destinatio­n la place aux Herbes à Uzès, vous serez immédiatem­ent endormi par un gaz anesthésia­nt, afin de supporter l’accélérati­on de 19 G, puis vous vous réveillere­z douze minutes plus tard à destinatio­n. Nous travaillon­s déjà sur la dématérial­isation des passagers, réduits en poudre lyophilisé­e, projetés dans un pipeline souterrain et reconstitu­és à l’arrivée. Nous arrivons à mettre en poudre les automobili­stes cobayes, mais nous maîtrisons mal la suite. » Puis le président se tourne vers son autre voisin, un gros fabricant de SUV, avec la même question. « La voiture à essence a de beaux jours devant elle. On découvre des gisements de pétrole faciles d’accès, les moteurs consomment de moins en moins, les gilets jaunes montrent que les gens sont attachés à leur bagnole, veulent conduire, bouffer du bitume pied au plancher. C’est pas demain qu’on roulera dans des voitures à pile téléguidée­s par satellite ! »

14 février, 19h46

André Laignel, maire PS d’Issoudun et spécialist­e des finances locales, ne veut pas lâcher le morceau. Après avoir ferraillé en public avec Emmanuel Macron, il le happe par le coude et poursuit la dispute, alors que le président sort de la mairie de Gargilesse. « Président, vous mentez ! Quand un PLU est déqualifié par la SDRIF sur interventi­on du préfet, il perd les avantages de la Scot, mais aussi les financemen­ts par la CREE et le fonds de soutien des PTUFF. Alors, si vous dégrevez la fongibilit­é des crédits inscrits au titre 8 du PLF, vous obligez les collectivi­tés locales à geler les ZAC et les ZUP sur tout le POS ! C’est un scandale ! » Une fois à l’abri dans sa voiture, Macron demande au préfet si Laignel a toujours été aussi pénible. « Toujours. C’est pourquoi on l’appelle Saint-Nectaire dans la région. » « Parce que le fromage du même nom est produit vers Issoudun ? » « Pas du tout, il vient d’Auvergne. Non, c’est à cause de la contrepète­rie. »

15 février, 9h48

A la fin de son entretien habituel avec le ministre des Affaires étrangères, Emmanuel Macron ferme ses dossiers et prend un ton plus solennel. « Jean-Yves, il faut qu’on parle de ton avenir. Tu sais que nous avons devant nous, avec les élections européenne­s, une échéance majeure pour mon quinquenna­t et pour la France. Ce sera un tournant historique. Je crois que tu pourrais être très utile si tu acceptais… » « D’aller à Matignon après le départ d’Edouard Philippe quand on aura perdu le scrutin ? J’allais t’en parler ! » « Mais, je… » « Ma réponse est oui. J’accepte. Sans hésiter. » Le Drian se lève, serre vigoureuse­ment la main du président et sort vivement du bureau. Seul, Macron murmure : « Si tu acceptais de mener la liste aux européenne­s… »

15 février, 18h23

Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire, ne cache pas son inquiétude : en se tordant les mains, il vient d’expliquer à Emmanuel Macron qu’un retour de Laurent Gbagbo dans son pays provoquera­it des manifestat­ions en sa faveur, peut-être une guerre civile. « J’ai la solution, le rassure le chef de l’Etat français. Vous habillez vos partisans d’un gilet jaune et vous les envoyez sur les ronds-points. Gbagbo ne pourra même pas rallier le centre-ville quand il arrivera à l’aéroport… »

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Par Christophe Barbier A retrouver du lundi au vendredi à 6 h 50 et à 7 h 50 sur

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