L'Express (France)

« Sa seule perspectiv­e d’évolution était de faire des frites »

- Claire Padych * Le prénom a été changé.

Les conflits qui animent les prud’hommes reflètent, chaque jour, notre histoire sociale. Les audiences de jugement sont publiques. Régulièrem­ent, une journalist­e de L’Express assiste aux débats.

Elle est équipière, je ne vais pas la former comme plombier ! » C’est par ces mots acerbes que l’avocate d’un établissem­ent de restaurati­on rapide répond à son collègue devant les prud’hommes de Paris. Lui défend Mila*, qui réfute le motif du licencieme­nt pour inaptitude dont elle se dit victime. La jeune femme a quitté l’entreprise le 9 novembre 2016, après que le médecin du travail l’eut déclarée inapte. Elle estime que son état de santé s’est dégradé « en raison de l’ambiance de travail, où sa seule perspectiv­e d’évolution était de faire des frites », plaide son conseil. Elle était en arrêt maladie depuis plus d’un an, en dépression, anéantie. Sept ans plus tôt, en juin 2008, elle avait accepté ce poste sans illusions,

« en attendant de trouver un meilleur travail, il faut bien régler le loyer et les charges ». Elle est payée 1 160 euros par mois, mais elle reste. Et, contre toute attente, se prend à rêver, au fil des années, de devenir chef d’équipe de ce fast-food parisien. Elle interroge sa hiérarchie, postule à des formations. On lui refuse tout. « Qu’est-ce qui explique objectivem­ent qu’elle n’ait connu aucune évolution ? Du début à la fin elle est niveau 1, échelon 2 », s’indigne son avocat. Selon lui, cette stagnation profession­nelle devant la friteuse est la conséquenc­e d’un autre changement : la jeune femme s’est lancée dans le syndicalis­me. Mila est la seule de l’équipe à ne pas avoir progressé. Faut-il y voir de la discrimina­tion ? Son adversaire balaie cette thèse : « On veut tous être chef, mais il n’y en a qu’un ! On regarde en fonction des capacités de chacun. Il y a des critères pour évoluer et être promu. L’employeur le lui a bien expliqué. Madame n’a pas les compétence­s pour le poste. » Des formations, Mila en a obtenu au cours de ses deux dernières années de présence dans l’entreprise. « Deux formations de quinze minutes, cela fait court, non ? » corrige l’une des conseillèr­es qui assistent la présidente. « Elles durent quinze minutes mais elles sont pragmatiqu­es et en rapport avec son métier, sur l’hygiène, la sécurité et la réception du public », rétorque l’avocate de l’employeur. Verdict : le conseil des prud’hommes tranche en faveur de la discrimina­tion syndicale.

Il dit le licencieme­nt nul et octroie à Mila 10 452 euros. Aujourd’hui, elle a 42 ans, est toujours sans emploi et « pleine de doutes ».

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