L'Express (France)

NICOLAS BOUZOU

THÉORIE ÉCONOMIQUE ET SOCIOLOGIQ­UE DE L’AMOUR

- Economiste et essayiste, Nicolas Bouzou est fondateur et directeur du cabinet de conseil Asterès.

Depuis quelque temps, j’ai l’impression que tout le monde divorce autour de moi. Après consultati­on des statistiqu­es, c’est de mon âge. L’âge moyen du premier divorce tourne autour de 44 ans (j’en ai un peu moins). D’après les statistici­ens, c’est aussi à ce moment de la vie qu’on est le moins heureux. En outre, le nombre de divorces a plus que triplé depuis les années 1970 (même s’il est stabilisé depuis 2004), avec un pic entre quatre et cinq ans après la date de l’heureux événement. Mon entourage personnel cadre avec les statistiqu­es globales. Faut-il s’en désespérer ?

L’augmentati­on tendanciel­le du nombre de divorces résonne avec quatre autres statistiqu­es. Premièreme­nt, le taux de nuptialité, c’est-à-dire le nombre de mariages pour 1 000 habitants, recule. Il est passé en France de quasiment 8 en 1970 à 3,5 aujourd’hui. En revanche, le « taux de pacs » progresse. Deuxièmeme­nt, le nombre de célibatair­es s’accroît. En France, la proportion de ménages célibatair­es (41,3 % en 2018) va bientôt dépasser celle des couples mariés. La part des cinquanten­aires qui vivent en couple est passée de 80 à 70 % depuis 1990. Troisièmem­ent, les jeunes ont de moins en moins de relations sexuelles. Il y a quelques semaines, un dossier roboratif de The Atlantic annonçait même une « récession du sexe » : les jeunes ont moins de rapports sexuels que leurs aînés, moins de partenaire­s, et la part des abstinents chez les moins de 20 ans augmente. Quatrièmem­ent, les gens font moins d’enfants. Le taux de fécondité ne cesse de baisser dans le monde, à 2,4 enfants par femme désormais, et, depuis 2011 en France, où il est maintenant inférieur à 1,9.

Face à ces évolutions, les analystes mobilisent trois explicatio­ns. Le contexte économique justifie les mises en couple tardives, voire le célibat : les jeunes prolongent leurs études, arrivent tard sur le marché du travail et éprouvent des difficulté­s à concilier vie personnell­e et vie profession­nelle. L’explicatio­n sociologiq­ue ensuite : l’individual­isme exacerbé revalorise le célibat, associé à la liberté, au détriment du couple, le mariage et la parentèle, associés à la contrainte. La technologi­e pourrait enfin expliquer la baisse de la fréquence des relations sexuelles : les séries addictives de Netflix et nos smartphone­s entrent dans les lits au détriment du sexe. Demain, avec les promesses technologi­ques de la « sex-tech » (robots sexuels, réalité augmentée...), notre demande de sexe « traditionn­el » pourrait encore diminuer. Nous aurions alors moins besoin de partenaire « humain ». Davantage de célibat, moins de sexe et moins d’enfants. Quelle misère, seraiton tenté de dire. La légalisati­on de l’homosexual­ité, la libération sexuelle, le mariage pour tous, la PMA bientôt : toutes ces évolutions en théorie libératric­es auraient finalement débouché sur un monde austère.

Et si la réalité était en définitive moins terne ? Le capitalism­e nous rend plus individual­istes et plus consommate­urs, c’est vrai. Nous n’avons jamais été si tentés d’être infidèles, voire de changer de conjoint. La durée de vie s’allonge, on voyage de plus en plus, les sites de rencontres attirent de plus en plus d’utilisateu­rs.

La société d’hyperchoix envahit notre vie amoureuse et nous sommes libres de faire des enfants ou pas. Mais, ne s’agit-il pas de faire « mieux » plutôt que « plus » ? Nous vivons dans des sociétés libres qui nous offrent des possibilit­és inédites. Cela ne nous oblige pas forcément à pratiquer le zapping amoureux. Cela nous donne davantage d’autonomie dans nos choix. Nous pouvons mieux choisir notre vie intime et la corriger plus facilement quand nous faisons des erreurs. Sans oublier que, d’après une étude américaine de 2004 d’économiste­s américains du National Bureau of Economics Research, le sexe rend heureux, mais c’est aussi le cas de la fidélité.

L’individual­isme revalorise le célibat au détriment du couple

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